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« Ne fait rien d'autre dans la vie que ça, écrire. » lui avait dit Queneau alors qu'elle débutait chez Gallimard. Elle s'y est employée, quitte à passer à côté de sa vie. Elle écrivait, raturait, conservait, ressortait, retravaillait foules et monstres de manuscrits. L'appartement de la rue Saint-Benoit, la maison de Trouville cachaient toujours des « cahiers » qu'elle avait pris soin d'oublier volontairement. Des cahiers d'un temps pas très clairs. Pas très raccord avec le personnage. Son personnage. Car Duras était un personnage flirtant avec le vrai et le faux, confondant réalité et fiction de papier, se perdant dans les mythes et les mensonges qu'elle avait elle-même créée. Mais avec elle, les mensonges devenaient certitudes. Plus vrais et plus harmonieux que la vie. Elle était comme son siècle pleine d'erreurs et de grandeur. Elle n'était pas née du bon bord. Dans une Indochine française, elle était du côté des colons. Dans une France en proie aux appels de la décolonisation, du progrès, elle était du côté de l'Etat. Elle n'aimait guère cet épisode-là de sa vie, ce passage au ministère des Colonies et ce livre commandé par le ministre d'alors Georges Mandel. L'Empire Français, « sa race blanche » et « sa race jaune » s'effaceront de sa bibliographie. Erreur de jeunesse, comme le camarade de résistance Morland (nom de code de François Mitterrand pendant la résistance). Vite balayée par la lucidité, la nécessité de basculer dans le camps du changement, dans le wagon du progrès, près à prendre en route les moutons égarés. Vive, déterminée, exaltée et amoureuse elle entrera en résistance. Fera un excellent agent de liaison pendant la guerre selon Morland. Puis une excellente militante communiste à la libération, de tous les combats, de toutes les ventes de l'Huma et de toutes les soirées à refaire le monde du côté de Saint-Germain des Prés. Puis écartée par des dirigeants inaptes à la critique du stalinisme. Et pourtant dans ce documentaire poignant réalisé par son fils, des années après l'affront, après la déception commune de sa troupe d'amis libérateurs libérés, les Antelme, Mascolo, Morin, elle continuera à soutenir la cause. Rouge au coeur. « Oui, je suis encore communiste, mais je sais que ça n'arrivera jamais, ça ne sera jamais possible ». Celle dont on ironisait le style unique. Le rythme saccadé. Les phrases courtes. La déstructure narrative. Les écrits égocentriques. Celle qui n'était pas du genre modeste. Qui avait pris le pli de parler d'elle à la troisième personne, de s'enfermer dans sa tour d'ivoire tout en multipliant les apparitions médiatiques. Celle-là n'avait jamais oublié sa cause première : « cette masse populaire dont tout le monde se fout ». En femme de son siècle, elle avait été de tous les combats. Salope des 343. Résistante de l'ombre. Proche du FLN. Écrivaine obsédée par le moi dans lequel résonnait les turbulences du siècle. Duras l'engagée déteignait sur Duras l'écrivaine. Elles ne faisaient qu'une, ces deux-là. Tous ses romans ne sont qu'une redite surpuissante, renouvelée de sa vie. Une nouvelle chance donnée au vécu. Il fallait l'élever cette vie, la rendre attractive, « quitte à la réinventer pour échapper à sa banalité » dira Laure Adler, sa biographe. Là où une autre grande dame de son époque soignait le mythe à grands coups d'honnêteté, vœu fait dans ses mémoires de jeune fille, Duras prenait un tout autre chemin que cette Beauvoir qu'elle détestait – pour une ridicule histoire d'amant volé au détour de Saint-Germain des Prés. Dans le désordre originel de sa caboche d'enfance bancale, elle se laissait hanter par le vécu, elle, accouchait de lui avec consentement. Sa folie de l'écriture était une autre forme d'honnêteté. Je me suis souvent posée cette question : « Tu choisirais qui entre Simone et Marguerite ? ». « Tu serais capable de te séparer de laquelle, ingrate que tu es ? » Elles avaient la même vie, la même envie, le même besoin. Écrire. Mais l'une avec méthode, l'autre avec folie. Et résultat, elles donnèrent aux jeunes filles des décennies suivantes une vision de ce que fut le XX eme siècle. Une vision de l'écriture. A l'origine de l'écriture oppressante de Duras, il y a la vengeance. Le désir de ne pas fliquer son ressenti tout en élevant la vie. « On écrit comme ça d'abord, il y a un procès à l'origine » disait-elle. C'est le mobile le plus courant. Et puis au fil du livre, en court, elle changeait de route. Ecoutait le silence en elle et la fureur extérieur. De la vengeance envers la mère, il y aura la vengeance envers la guerre, l'injustice, le monde. Une obsession pour elle. Une oppression pour le lecteur. S'il ne fallait lire qu'un livre d'elle. S'il ne fallait endurer qu'une fois avec elle. Il faudrait prendre La Douleur. Récit frelaté de l'attente d'un homme. D'un retour insurmontable. Son homme perdu dans l'enfer des camps de concentratrion. C'est un récit brouillon issu de ses fameux cahiers de guerre. Mêlant l'amour, la mort, l'engagement politique, l'inhumain menaçant. Elle y met l'humain en question. Elle le travaille au corps. N'épargnant rien à elle-même et autres. Son attente maladive, son flirt avec l'ennemi, de l'amour mort d'un survivant. Elle s'abandonne à l'écriture. Refuse le manichéisme de l'après-guerre. C'était un combat permanent avec tous les camps, les bons qui ont laissé faire, les méchants qui ont commis l'acte. Un combat avec soi-même. Il n'y pas plus beau texte. Elle y est elle-même, amoureuse, méchante, compatissante et égoïste. Brisée par l'humanité, par l'inacceptable. « Nous somme de la race de ceux qui sont brûlés dans le crématoires, nous sommes aussi de la race des nazis ». Bien plus tard, dans ce documentaire tourné par son fils, elle dira « ma dernière pensée sera celle-là » (ce qui s'est passé dans les camps) et elle ajoutera « ma plus grande surprise c'est que 99% des gens n'y pensent jamais ». Sous les mensonges du mythe Duras, sous ses grands airs d'écrivaine au dessus du lot,  il y a avait une promesse noble passée avec son moi. Cultiver sa part d'ombre interne. Celle que tout le monde fait taire et qu'elle voulait faire parler, elle. Hurler dans ses écrits. « Écrire, c'était la seule chose qui peuplait ma vie et qui l'enchantait. Je l'ai fait. L'écriture ne m'a jamais quittée. » Et c'est finalement son écriture qui ne nous a jamais quittée.

 

L'écriture durassienne
Tag(s) : #Littérature, #Marguerite Duras, #La Douleur, #Ecrire
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