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Jeune premier de la chanson française, gueule d'ange omniprésente par le passé sur les ondes et les plateaux de télévision, Raphaël avait déserté nos esprits. Ceux-ci fatigués certainement de le voir jouer de la guitare sur un toit, par un grand froid parisien, l'ont oublié avec un peu trop de facilité. Ce fameux toit où le jeune premier tournoyait autour de sa belle en plein hiver c'était en 2005 (déjà). C'était l'époque où tout tournait encore plus ou moins rond, l'époque où Raphaël raflait tout avec ce clip et surtout ce disque Caravane. Poète des temps modernes, admirateur de Rimbaud, Kerouac et Dylan, Raphaël insufflait un deuxième souffle à la nouvelle chanson française, un souffle manquant : une magie des mots et de la révolte. Or la révolte s'allie mal avec le succès, et le succès Raphaël en a fait les frais : recordman des ventes, Victoire de la musique, gloire et lycéennes amoureuses... Alors l'artiste a fui pour le coup dans sa caravane, celle des tournées. Écumant en toute discrétion la province, sortant multiples rééditions de live en tous genres et un album n'ayant pas rencontré le succès attendu, Raphaël semble aujourd'hui avoir retrouvé sa route. Cette route qu'il chantait avec Jean-Louis Aubert dans son second album (La Réalité). Une route de la Beat Generation, la route prise il y a plus d'un siècle par l'homme aux semelles de vent, un chemin où il n'est question que de liberté dans un monde prisonnier de sa débâcle.

 

RaphaelQu'on se le dise d'entrée de jeu : le nouvel opus de Raphaël ne sera pas le joli rayon de soleil de notre rentrée. Bien au contraire, Pacific 231 incarne cette masse sombre qui pèse au dessus de nos têtes à chaque instant, ce lots de tourments inévitables, ce rappel des faits, de ces questions que l'on se rechigne à se poser par peur des réponses imposées. Raphaël nous revient pour mieux nous condamner avec ses mots, ses maux. Le genre de mots qui font frissonner la peau et rendent les yeux humides. « Des mots sur le courage, sur la vie et puis tout ça » chantait-il dans ses premiers albums.

 

Le Raphaël nouveau est arrivé et ce qui frappe à l'instant même où le disque démarre c'est ce nouvel individu. Dépouillé de son succès, de son insolence aussi, l'artiste change radicalement de camp. La faute à l'époque, au monde, à la paternité aussi peut-être. À la première écoute de ce Pacific 231, l'envie est grande d'appeler ce type qui « détruit tout » pour lui dire des phrases banales du style « ça va aller mon grand, on en est tous là ». Sauf que ça ne va pas aller...

 

Avec ce disque écrit à l'encre noir, Raphaël dévoile des tourments béants, inconsolables et incurables. Celui de l'individu et de son espèce tout entière. Des tourments alignés à la manière sombre d'un Bashung. La parenté est inévitable. Elle en gonfle sûrement plus d'un puisqu'on en use depuis que le grand monsieur de la chanson française est parti, et pourtant, son fantôme plane ici bas (surtout sur « Locomotive », et « Ce doit être l'amour »).

 

Le disque s'ouvre sur le somptueux « Terminal 2B ». Compulsif et symphonique, ce titre magnifiquement parlé et habité lève le voile sur un album d'une sincérité émouvante. « Terminal 2B » marque d'emblée un changement extrême dans le style de l'artiste. Lettre parlée par Raphael, « Terminal 2B » joue les introductions à un album admirable. « Je t'envoie la luxure de mes pensées. Je t'envoie un petit baiser et 100 000 regrets de ne pouvoir te le porter en personne » lâche Raphaël à nos oreilles qui ne peuvent s'empêcher de penser que ce flot de mots est pour elles, qu'il nous est adressé à tous. Il y a du Vian là dedans, dans la force évocatrice des mots, du Bashung aussi, de ce sentiment unique de ne pas savoir s'il faut en pleurer ou en sourire. Avec lui, on bascule dans un autre monde. Ce monde qui nous attend c'est celui de l'artiste, c'est le monde entier, un monde aux multiples saveurs et instruments, de l'Asie à l'hexagone, de ce Terminal 2B de Roissy à la locomotive de l'autre temps. C'est un monde en perpétuel mouvent perpétuellement interrogée par un Raphaël à la noirceur rayonnante.

 

Si « Terminal 2B » est une acmé intense, un souffle puissant pour raviver la flamme de nos pauvres âmes égarées, le reste de l'album nous coupe le souffle et ne fait vivre que nos consciences. La plume y est subtile, les textes poétiques, joliment imagés et Raphaël fait preuve de maturité. La maturité que lui inflige le siècle présent. Le pseudo-rebelle de la chanson française d'il y a quelques années s'offre un nouveau visage, loin de la variété et de sa pauvreté. Ce nouveau visage ne plaira pas cette fois-ci par la beauté de son adorable minois mais pour la beauté de son esprit, la justesse de ses paroles. Sur les 13 titres de l'album, on se plait à s'imaginer qu'aucun ne sera un tube de radio. Et tant mieux. La plume de qualité de Raphaël ne semble dorénavant plus conçue pour le succès radio, trop intime, noire et violente pour séduire les ondes vendeuses. Malgré quelques mélodies accrocheuses et rythmées (« Ce doit être l'amour », « Bar de l'hôtel »), notre oreille se pose sur les mélodies à la simple guitare où l'artiste chante les histoires d'amour, « les rêves flingués », « les plaies de nos corps déréglés » et cette espèce menacée : la notre. Plus militant et engagé que par le passé, Raphaël lâche des mots par paquet, pour nous rassurer, pour se rassurer, pour nous questionner sur le « comment en sommes nous arrivés jusqu'ici? », sur « cette détresse que l'on paye si cher », sur « le temps qu'il fait ailleurs, si les jours y sont plus sombres ou bien meilleurs ». Sa justesse pour la douleur est tristement magnifique, sa prosodie parfaitement soignée et son mystère intact.

 

Il chante « L'Odyssée de l'espèce », « La petite misère ». Il chante le mal être de son monde comme Rimbaud l'écrivait en son temps et comme Dylan le braillait en concert. Il chante le blues du moment avec « Dharma Blues » (« Tous les soirs un enfant meurt, et tous les soirs le ciel s'éteint »). Chez lui, on le savait déjà mais c'est chose confirmée ici : le mot est sacré roi, ou bien serait-ce l'image?  Les mots s'entremêlent et les images voient le jour sous un temps grisâtre. Ces images constituent le puzzle de sa pensée désabusée. Cette dernière enferme les secrets inavouables : un revolver, une corde, des étoiles dans le caniveau, cet aveux de vouloir se conduire comme James Dean puis cette confession désarmante « Je détruis tout ». Le disque touche à sa fin, il se clôt sur la tragédie de la vie ou de l'époque, on ne sait plus très bien. « On rouille, on s'oxyde, se défenestre, on se suicide et nos dorsales se courbent et nos yeux sont humides ». Tout est dit en si peu de temps. Pas besoin de journaux, de politiques mensongers, de commentaires travaillés pour expliquer le malaise de notre époque, non, le mal du siècle est décrit dans ces 13 titres. Celui qui détruit tout a construit le plus bel album de sa carrière, la plus chouette surprise de cette rentrée morose. Enfin le bellâtre a ouvert sa gueule, une gueule qui a du cran. Lâche comme nous tous, planqué derrière ses lunettes noires il n'en est pas moins capable de constater la France déprimante d'aujourd'hui, capable de cracher en quelques vers la vérité salvatrice, celle qu'on attend tous dans l'hexagone qui s'embrase : « J'ai comme une idée qu'il faut que j'te dise. Cette France, hé bien moi, j'la méprise ».Nous aussi, mon gars, nous aussi...


« Le Patriote » de Raphaël

Tag(s) : #Musique
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