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Longtemps, ils ont squatté le pied du sapin. Je n'ai jamais su quoi lui offrir mais les Stones m'assuraient de toujours toucher juste les jours de fête. Bio, best of, films. J'ai tout offert sans jamais leur accorder la moindre danse, la moindre attention. Papa a toujours dit que « LES STONES EST LE MEILLEUR GROUPE DU MONDE » et pourtant c'est le White Album qu'il m'a mis entre les mains gamine. Le White Album, cet inoubliable souvenir d'enfance, est lessivé, rayé à certains instants mémorables. Peut-être était-il temps de passer à autre chose, de se faire une raison, d'accepter la fin de cet amour pour les Fab Four, de s'offrir un son nettement supérieur, une dynamite musicale, mythique, crade, sexuelle et cynique loin des quatre garçons finalement très sages de Liverpool. Quitter les Beatles pour les bras des Stones c'est peut-être grandir un peu, ou régresser complètement selon les avis.

 

RollingStone

Les avis des uns ou des autres en véritable fan des Stones on doit s'en foutre royalement. Les esquiver comme les déhanchés diaboliques de Mick Jagger esquivent la décence. Les ironiser comme les riff ensorcelants et bluesy de Keith Richards ironisent ce vieux monde coincé et blanc depuis l'aube des sixties. Les regarder avec un flegme impassible comme Charlie Watts, planqué derrière sa batterie, observe ses complices de toujours mener leur révolution musicale sur scène. Ces trois-là, avec le « dernier arrivé » Ronnie Wood, traînent dans le coin depuis de très très très longues années, comme ce diable de « Sympathy for the devil » hante ce bas-monde depuis des lustres, depuis que ce satané Jésus a vu le jour. Ces « pierres qui roulent » sont venus au monde quand celui-ci se laissait aller à une de ses (trop) nombreuses erreurs fatales : la Seconde Guerre Mondiale. Par vengeance, par talent, par pure envie de ne pas rentrer dans le rang souhaité depuis des décennies, ils décideront de ne pas épargner le monde de leur naissance. Royaume désuni. Royaume en deux blocs distincts se rejoignant sur ce point précis : l'injustice. Royaume indigne épris d'une morale rectiligne. Royaume anti-tout. Anti-jeunes, anti-cheveux longs, anti-noirs, anti-rock, anti-drogues, anti-tout ce qui n'est pas blanc, silencieux et propre sur soi. Dans le Swinging London, Keith Richards a pour unique drogue (pour le moment) le blues, la musique des indésirables. Idem pour son frère ennemi Mick Jagger. Quant à Charlie Watts, réfugié derrière ses cymbales, il ne vit que pour le jazz. Des musiques de black en provenance de cette terre inconnue, les États-Unis, et ce désir insupportable pour l'époque de leurs aînés : jouer comme des black, ne pas se conformer aux règles et atteindre l'oreille de celui qui voudra bien écouter ces démons de l'ère moderne et révoltée. La vengeance indicible des gamins de Londres passera donc par la musique, celle-ci rêvera, divaguera, annoncera, mais hélas ne concrétisera jamais son souhait le plus cher : le changement, l'extraordinaire métamorphose du monde, et de l'Amérique en particulier. Là où les Beatles produisaient ce merveilleux son, miroir des espoirs naissants dans l'âme de chaque enfant de l'affreuse guerre, les Stones, eux, posaient mots et riffs incandescents, révoltés et cyniques sur la contestation qui commençait à battre à la chamade dans les coeurs de ces gamins, ces « street fighting men » d'un jour suspendus à leur platine pour échapper à la tiédeur du système, des gamins pressés d'en finir avec les maîtres du monde et leur morale à deux balles.

 

À la lumière des événements récents, de mes lectures estivales consacrées à la sainte trinité néo-païenne « Sex, drugs and rock&roll », j'ai le sentiment que les « street fighting men » n'ont pas débarrassé le plancher mondial, puisque, hélas, les maîtres du monde et leur morale à deux balles sont toujours de la partie... et finissent toujours par la gagner. Hier, ils étaient guidés par le rock pour mener leur révolution. Aujourd'hui, c'est le Net qui a pris la relève. La musique comme guide suprême s'est fait la malle. Elle avait, semble t-il, autre chose de mieux à faire que de réveiller les âmes et consciences. Résultat : les filles n'ont plus personne à qui envoyer leurs soutif sur scène. Les flics, eux, n'ont plus personne à harceler pour consommation de stupéfiants. Quant aux politiques, ils n'ont rien à craindre des stars gaga et rois&reines des charts. Tournure de l'Histoire : stupéfiante.

 

« Ça y est élo nous ressort son vieux discours conservateur du : c'était mieux avant ». Je le fais justement parce que C'ETAIT MIEUX AVANT. Parce qu'avant rien n'était acquis et tout était à arracher à l'ennemi réac'. Parce qu'avant les rois des charts avaient pour nom les Rolling Stones. Ils ne cherchaient pas la célébrité ou l'argent comme toute diva-star actuelle qui se respecte. Ils désiraient juste jouer comme Muddy Waters ou Chuck Berry, établir une connexion divine avec les gens et fuir ces limites imposées par la société abjecte de leurs parents. « Quitter la planète terre. Planer parce que tu joues avec une bande de types qui ont le même but que toi. Tu sais que la plupart des gens ne ressentiront jamais ce que tu ressens, une sensation spéciale » dixit cette vieille carcasse de Keith Richards. Une « sensation spéciale » voilà ce qu'incarne le son stoned des Stones. Une batterie lancinante, une voix suave et percutante et le plus grand riffeur de tous les temps. Certes, il y a de la baise, une descente aux enfers à Dopeland, des tromperies, des histoires de fric, des frères ennemis et un cadavre flottant dans la piscine. Mais à côté de tout ça, il demeure deux gamins immortels tentant d'apprendre à jouer comme des blacks dans un appart trop étroit, des mômes éternels qui composent toutes les nuits et des tubes pamphlétaires sur les frustrations de l'homme moderne qui ose enfin ouvrir sa gueule alors que depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale on ne lui a enseigné que le « fermes ta gueule et consommes, s'il te plait ». Alors les Stones s'exécutnte et consomment leur came à eux : la musique. Cette came a été celle de toute une génération, et les Stones ont été le porte-drapeau de celle-ci. Et en écoutant le PLUS GRAND DISQUE DE TOUS LES TEMPS (Exil On Main Street), en refermant les biographies et en restant littéralement émerveillée par le Shine a Light de Marty, une seule question demeure... non, en fait deux. Altruiste veut bien être la première : où est « le porte-drapeau musical » de notre jeunesse ? Égoïste ne peut s'empêcher d'être la seconde : est-ce qu'un jour, par miracle, j'aurais le privilège de tenir entre les mains un précieux billet comme celui de papa, une place pour le paradis, un place pour un concert des survivants du siècle passé ?

 

Chroniques 0067

Ceux qui ont activement participé à la fièvre des sixties sont peinards six pieds sous terre ou en train de trinquer avec le club de 27. Ceux qui ont frissonné, espéré sur « Satisfaction » ou autres morceaux de bravoure de l'époque, se sont coupés les cheveux et ont regagné vite fait bien fait le rang qui leur était initialement destiné. Prise à mon propre piège me voilà donc. Que reste t-il du « c'était mieux avant » ? « Pas grand chose, poupée »me dirait la voix éraillée et irrésistible de Keith Richards. Il reste un échec et des légendes. Dans Like a Rolling Stone, Bob Dylan à la croisée des chemins, Greil Marcus diagnostique  une tragique vérité : « À certains égards « Like a rolling stone » est une chanson difficile à entendre aujourd'hui, car elle donne à voir une époque qui n'est en fait jamais arrivée [...]Cette époque-là (ou est-ce l'époque créée par la chanson?) semble avoir été la dernière occasion, dans l'histoire américaine, où le pays aurait pu changer d'une manière fondamentale, et pour le meilleur. Cette chanson – encore aujourd'hui – pointe du doigt cette possibilité, lui donne un sens, attire votre attention sur elle, et elle vous force alors à décider ce qu'il convient de faire ». Remplacez la chanson de Dylan par les Rolling Stones, et l'Amérique par la terre entière et tout s'explique. Ces gars-là n'ont pas échoué, c'est l'époque, leur génération, le monde les uniques coupables. Le seul défaut de ces types c'est d'être encore vivants malgré les excès passés. « Ça les empêche de rentrer dans la légende » dixit l'expert Manoeuvre. Pour beaucoup, ils sont inférieurs aux Beatles. Musicalement, ils ont peut-être fauté plus de fois que les gentils gars de Liverpool. Mais humainement, les Stones ont avant tout su mener l'impossible : une aventure de groupe sur quarante années de blues et de rock, de rails de coke et de sales coups, une fusion gardée intacte sur scène, et ce malgré l'ego surdimensionné d'un leader, le passage à l'héro d'un guitariste et la sagesse tonitruante d'un batteur. Alors qui peut dire mieux ? Personne. Car il n'y a pas mieux qu'eux pour la légende, contrairement à ce que celle-ci peut bien s'imaginer. La musique c'est comme « tendre au maximum les cordes sensibles de chacun sans aller jusqu'à la crise cardiaque ». Quand, en 2011, tu écoutes Beggars Banquet, ta « corde sensible », celle-là même évoquée par Keith Richards dans Life, rejoint la « corde sensible » d'un ado rêveur ou révolté qui écoute le même Beggars Banquet à l'autre bout du temps qui passe, en 1968, année de sa sortie dans les bacs. C'est alors pas la crise cardiaque, mais presque. C'est pas se dire que plus personne ne pourra attraper la contestation et le blues aussi bien, mais presque. C'est pas dire que les Rolling Stones sont la plus belle chose que ce dieu qui n'existe pas ait créée sur terre, mais presque.

 

Quelques conseils de lecture en vrac sur les Stones et leur époque :

 

Life de Keith Richards (Robert Laffont)

Les Stones, 40 ans de Rock&Roll de Jacques Barsamian et François Jouffa (Ramsay)

Les Rolling Stones de Philippe Bas-Rabérin (Albin Michel)

Like a Rolling Stone, Bob Dylan à la croisée des chemins deGreil Marcus (Galaade Editions)

Les 500 Meilleurs Albums de tous les temps par le magazine Rolling Stone

Je Veux regarder Dieu en face, le phénomène hippie de Michel Lancelot (Albin Michel)


 

Le meilleur des Stones (selon moi) :

 

 

" Sympathy For the devil " Beggars Banquet (1968)

" Rip This Joint " Exil On Main Street (1972)

" Tumbling Dice " Exil On Main Street (1972)


" You Can't Always get what you want " Let it Bleed (1969)

" You Got The Silver " Let it Bleed (1969)


" Jumpin' Jack Flash "  Through the past darkly (Big Hits Volume 2)

" No Expectations " Beggars Banquet (1968)


 

 


Tag(s) : #Musique
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