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Il ne reste que lui. Ses frères de cœur ont disparu les uns après les autres, quittant le navire du beau cinéma français. Il est l'ultime rescapé de ces années de cinéma où les acteurs brillaient par leur talent à se fondre dans un rôle, dans un métier ou dans une classe sociale. Il a joué souvent les voyous, les rebelles au regard ténébreux, ce rôle là lui  colla à la peau. Gabin et Ventura couraient après lui, le voyou, l'assassin, le voleur, l'éternel adolescent révolté. Ils ne l'ont jamais vraiment attrapé, alors Delon est resté seul. Éternellement seul à détenir la magie d'un cinéma disparu, d'acteurs défunts, d'une beauté évanouie, celle du Septième Art. Delon est resté là, insoumis qu'il est et qu'il a toujours été... Pour ceux qui ne le connaissent pas, Delon est l'homme de la troisième personne, le beau papy qui radote un peu sur ses souvenirs de jeunesse, l'homme aux convictions parfois acerbes. Pour ceux qui le connaissent, qui l'ont découvert à force d'aller s'enfermer dans une salle obscure ou d'insérer les CD de ses films dans le lecteur DVD jusqu'à les rayer, Delon est une légende. Le genre de légende qu'on égalera jamais. Des yeux bleus d'une beauté irradiante, un visage parfait tantôt doux tantôt violent, une voix subjuguante, Alain Delon n'est pas l'homme de la troisième personne, il est l'homme capable de séduire une femme en deux secondes, le genre de type qui continuera longtemps à monopoliser l'attention parce qu'il capte l'œil de la caméra comme personne. Il a la trempe de ses pères, les Gabin et les Ventura, pourtant il est à part. Il est tous les hommes qu'il a pu incarner pour les caméra de Melville, Visconti, Clément, Antonioni, Verneui ou Deray. Des rôles dans lesquels il est entré pour ne jamais en ressortir...Delon fascine, monopolise, captive, il est l'aimant d'un désir de mythologie, de légende, de rêve d'un passé lointain et prestigieux. Les écrits se succèdent, les louanges avec, les histoires sales aussi, mais une biographie est-elle de taille pour un personnage comme celui d'Alain Delon? Non, la biographie est un genre bien trop sage et poli, Delon mérite un énième rôle, le premier rôle d'un roman dont il est le héros, la star insaisissable d'une histoire déjantée et complètement rêvée. Un jeune auteur a relevé le défi. Un roman sur Alain Delon, avec Alain Delon, pour les amoureux fous d'Alain Delon.

Alain Delon est une star au Japon c'est un fait mais c'est aussi le titre d'un merveilleux roman, du meilleur livre jamais écrit sur Alain Delon, cet homme de 74 ans qui endosse le rôle d'un has-been trop sérieux sur les plateaux de télévision et qui est en vérité le meilleur acteur français de sa génération. Benjamin Berton, jeune auteur "Goncourisé" en 2000 pour son premier roman, offre aux fans de l'acteur une comédie à suspense. Drôle et émouvante, cette histoire contée avec malice par l'auteur est un travail abouti sur l'homme et l'acteur immense qu'est Alain Delon. L'intrigue est un excellent scénario complètement fou et pourtant captivant du premier à la dernière page, où se joue une pirouette finale plus que réussie. Delon y interprète le premier rôle, son propre rôle, celui d'Alain Delon de retour de vacances qui se fait kidnapper en plein Paris, au mois d'août , par un couple de fans japonais inconditionnels de ses films. Le roman prend la tournure d'un mauvais scénario: "Les spectateurs n'avaient pas envie de voir Alain Delon impuissant. Il le voulait libre et alerte, indompté et indomptable plutôt qu'en cage". L'objet du kidnapping n'est pas le traditionnel motif de l'argent. Non, il s'agit tout de même d'Alain Delon,  l'homme qui hante la pellicule avec grandeur, l'homme aux milles facettes: Rocco, le Guépard, la Tulipe Noire, le Samouraï, le Félin, le Sicilien, Borsalino, Monsieur Klein... Alain Delon kidnappé n'est que précieux motif pour remettre en marche la mythologie, la légende Delon. Alors que l'acteur est isolé, par ses kidnappeurs, dans une vieille bâtisse de la Creuse, l'histoire prend une tournure inimaginable, sans cesse surprenante, complètement ahurissante. Et si le motif de l'enlèvement était celui qui a toujours mis l'acteur dans la tourmente? Un autre fils caché, le fruit d'une brève mais intense nuit d'amour avec une fan japonaise, il y a vingt cinq ans, voilà le motif improbable mais tellement captivant. Les pages s'enchaînent et le désir ne s'estompe pas un seul moment. Les kidnappeurs se retrouvent pris à leur propre piège, le charme Delon opère sur eux, sur le lecteur, il abuse de ses sourires préfabriqués, souvenirs de ses rôles, il en joue et rejoue: sourire réprobateur, sourire désir d'avenir,... Delon est une véritable machine à sourires, sa panoplie de sourires étant à l'image de sa carrière: immense. Le pouvoir hypnotique du regard de Delon va même jusqu'à irradier le cœur d'une vache dans la campagne de la Creuse. Une fiction déjantée d'une force incroyable.



Delon ne cessera jamais de fasciner. Sa beauté, son jeu, son talent, sa puissance à l'écran font de lui une star, au Japon, certes, mais aussi dans l'imaginaire collectif. Benjamin Berton se sert de cet imaginaire pour élever sur des hauteurs divines cet homme pas comme les autres qui fut, dans les salles obscures, tous les hommes. Les mots et images sont comiques, dans Alain Delon est une star au Japon, Delon ajoute une corde à son arc, celle de la comédie. Or, avec la comédie vient la mélancolie. Mélancolie enivrante d'un cinéma disparu où les vrais stars étaient respectables, où les comédiens jouaient pour le plaisir, un monde évanoui dont Delon reste l'ultime souvenir vivant. Le discours est cliché mais Romy l'a bien quitté, ses pères de prédilection Ventura et Gabin aussi, Montand, Bourvil, Noiret, Brialy s'en sont allé dans les cieux qui leur sont réservés. Plus que la nostalgie d'un Alain Delon et de sa filmographie, la fiction amène la mélancolie d'une époque: l'après-guerre, le Général au pouvoir et ces monstres de cinéma à la française. Séquence dramatique où Delon se revoit à essayer d'asseoir ses enfants de temps à autre devant ses films ou de leur donner quelques leçon de cinéma. Il a beau leur parlé de Visconti et de Godard, les gamins s'en foutent royalement, n'accrochent pas aux souvenirs de leur père. "C'était ainsi que se matérialisait la distance entre les génération: lorsque les idoles de l'une n'éveillaient même plus un souvenir dans la mémoires des suivantes". Triste constat à la vérité infaillible fait par un Alain Delon sur la pente douce, celle qui le mène peu à peu à jamais vers le panthéon d'une autre époque. Dernier témoin d'une époque révolu où on ne parlait pas de people mais de vrais stars qui méritaient leur prestige pour leur immense talent d'acteur. Dans une scène d'anthologie, Delon prisonnier de ce kidnapping comique se perd dans ses rêveries d'acteurs. Rêve rocambolesque où l'acteur est délivré par une armée des ombres menée par un Général qui souhaite le ramener chez eux: le paradis des hommes de légende. Fuir cette époque médiocre pour retrouver les siens à tout jamais, tel est son désir. Alors le Général, à la voix mythique tel un appel du 18 juin, fait pénétrer Delon dans le haut lieu des spectres de légendes. L'acteur reconnait les siens, plusieurs fois il a partagé l'affiche avec eux: Lino, Gabon, Montand, Bourvil, Serrault mais aussi Marlon Brando, Dean Martin et surtout Jean Claude Brialy l'ami de toujours. Delon instinctivement s'installe à côté de celui qui avait été dans la vraie vie son complice et son inséparable compagnon. Brialy le regarde incrédule: "Qu'est ce que tu viens foutre ici?". Delon lui explique tout ,son enlèvement et sa libération par le Général. Brialy lui rappelle qu'il y a quatre mois Delon était sur sa tombe et qu'il chialait comme un môme. "Tu as le temps, Alain. Ta légende peut attendre après toi pendant quelques année" lui murmure Brialy. Oui, Delon peut attendre un peu avant de s'en aller  rejoindre ses compagnons de toujours et d'aller se perdre dans les cieux de  ce bon vieux cinéma...

Alain Delon est une star au Japon de Benjamin Berton (Hachette Littératures)


Tag(s) : #Littérature
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