Et un jour les Clara purent marier leur JP

Souviens-toi le printemps dernier. On l'aurait presque oublié, je sais. La foule, le génie, les roses dans les mains et les drapeaux rouges un soir de mai envolés. Les promesses et sourires avec. Comme dans la chanson tant chérie de Beaupain. Les lendemains politiques et amoureux déchantent toujours un jour. Au départ, c'est toujours mieux dit l'autre. A l'arrivée, le désenchantement rapide est le seul souvenir qui demeure. La faute à tout le monde. Aux français râleurs et droitiers dans l'âme. A Fanfan et sa gauche trop au bord du précipice droitier. Aux sales cancres qui font de la politique pour faire progresser leur carrière quand les militants de base font de la politique pour le progrès de chacun. Alors le soir, on passe des heures à ne pas refaire le monde justement mais à le défaire. Brasser du vide, en venir à regretter Mélenchon, cracher sur Marine et sermonner l'entourage de l'éternelle et naïve ritournelle « non, socialistes et Ump c'est pas pareil ». Tout en doutant encore parfois. Mais ça fallait pas le dire. Mais certaines journées viennent tuer le doute. Assassinent les désillusions pour quelques heures peut-être. Des heures bonne à prendre. Comme ces manifs pro mariage, festive et colorée. Quand les leur étaient tristes et agressives. Juste quelques heures de répit. Oublier les manif de la honte, d'une France qui préfèrent sortir dans la rue pour protester contre l'égalité des droits que contre le chômage. D'une France qui n'est pas la nôtre. Peuplée de pâles copies des Le Quesnoy, famille peureuse et mythique de La Vie est un long fleuve tranquille. Mais les familles descendues sur le pavé avaient hélas un potentiel comique nettement moins affirmé. Oublier le besoin de faire des rassemblements improvisés pour contrer la flambée des agressions homophobes. Oublier ces deux gamins sapés comme en 1950 croisés dans le métro un beau matin, des numéros d'Action Française fièrement coincés sous leurs bras. Oublier l'homophobie ordinaire qui s'affiche aux quatre coins de la capitale et de l'hexagone aussi dangereuse que ce racisme ordinaire. Oublier les ennemis de la démocratie et de son égalité. Juste pour une nuit. Ou quelques heures. Car non loin de là, la marée humaine nauséabonde guette déjà. Conteste déjà les droits acquis par d'autres citoyens. L'Histoire n'oubliera pas, elle, leurs théories moyenâgeuses. Elle n'oubliera pas qu'elle fut elle-même moyenâgeuse avec ces quelques dates arrivées sur le tard. 4 août 1982 : La loi supprime toute pénalisation de l'homosexualité impliquant des personnes de plus de 15 ans, âge de la majorité sexuelle/ 17 mai 1990 : L'Organisation mondiale de la santé (OMS) retire l'homosexualité de la liste des maladies mentales/15 septembre 1999 : Suite à une proposition de loi socialiste défendue par Patrick Bloche et Jean-Pierre Michel, le Parlement crée un statut pour les couples du même sexe, le pacte civil de solidarité (PACS)/ 23 avril 2013 : la loi autorise le mariage entre personnes du même sexe et une ministre cite Nietzche. Et après tu me diras ? Après Clara pourra marier son JP. Elle pourra lui foutre la pression comme on peut la foutre aux hétéros quand on pense que le mariage est l'unique salut pour l'âme. Oui, on aura désormais tous le droit d'y croire ou non. Après on aura tous le droit d'être heureux ou malheureux la bague au doigt. Tous le droit de se marier autant de fois qu'on veut comme Elisabeth Taylor. Tous le droit de divorcer ou d'aimer à vie. Après aussi, les autres continueront à hurler contre les droits des autres, contre le progrès et l'égalité. Après les autres resteront à jamais ceux qui n'ont pas fait l'Histoire. Mais ceux qui lui ont réellement mis des bâtons dans les roues. Non pas dans l'objectif de protéger leur précieuse marmaille – sérieusement endommagée depuis des siècles par les liaisons tumultueuses de papa&maman – mais plutôt pour se complaire dans l'éternelle et inefficace peur de l'autre. Celle qui retarde l'Histoire et la déshonore.