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« Est-ce qu'il est vraiment possible qu'une histoire d'amour nous fasse sauter d'un pont? ». Telle est la pertinente question posée par le très volatile Jonathan, sous la grisaille d'une matinée parisienne de décembre. Jonathan (Louis Garrel) n'est pas le héros de l'histoire qui va suivre, celle qui va émaner de la caméra de Christophe Honoré. Non, mais il s'accorde le droit d'en être le narrateur dans une parfaite séquence d'introduction où le jeune trublion prend la parole pour nous annoncer qu'une « expérience de spectateur » nous attend d'ici quelques secondes sous la grisaille parisienne. Dans Paris s'ouvre ainsi avec un regard face caméra, de façon confuse mais poétique, sous la force narrative et créative de Louis Garrel, sous la caméra inventive et libérée de Christophe Honoré, sous les images d'un cinéma d'antan auquel on aime démesurément se référer. Un cinéma fait de libertés et d'émotions nommé Nouvelle Vague que Dans Paris s'évertue à saluer avec élégance et énergie.

 

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Plaisir de cinéphile à la tonalité très grave, Dans Paris est le récit d'une journée dans la vie d'une famille unique, et à la fois désespérément banale. Il y est questions de divorce de parents, d'enfant parti trop tôt, de ruptures amoureuses et de douleurs incurables. Le film suit les aventures sentimentales de Jonathan et Paul (Louis Garrel et Romain Duris), les deux frères de cette famille abîmée par les choses de la vie. Grâce à la vivacité de l'un et à la torpeur de l'autre se dessine le portrait de cette famille dont la devise serait « Prends la peine d'ignorer la tristesse des tiens ».

 

Cette fameuse tristesse, fil d'Ariane du récit de Christophe Honoré, côtoie avec beauté la douleur de Paul, génialement interprété par un Romain Duris prisonnier de ses douleurs et de son incapacité à aimer, et la gaieté de Jonathan, un Louis Garrel toujours en mouvement papillonnant aux quatre coins de Paris. Alors que les vingt première minutes du film conte les va-et-vient affectifs de Paul, faits de déchirements et retrouvailles, cloisonnés dans une chambre ou une voiture à la campagne, le reste du film respire l'air pur de la capitale par le vagabondage élancé de Jonathan, décidé à faire revivre l'air revigorant d'une cité jadis témoin de la naissance de la Nouvelle Vague.

 

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Ces états contraires, prompt tous deux à l'improvisation étonnante, captivent par leur grâce contradictoire : l'élégance de la douleur et celle de la gaieté. Alors que Paul, abandonné de sa jeune vie d'adulte, retourne vivre dans sa chambre d'ado, entre un père papa-poule (irrésistible Guy Marchand) et les souvenirs d'une adolescence lointaine (retrouvailles avec un vieux vinyl et ses paroles), Jonathan continue à vivre sa vie de bohème et compte faire que son frère « vive sa dépression nerveuse en paix ». L'un clownesque déambule à toute vitesse dans les rues de Paris, l'autre brisé déambule lentement dans l'appartement familial.Le contraste de ces deux états de la vie, captés sur une journée, rayonne de beauté sous la froideur d'un Paris du 23 décembre.

 

Joyeux et triste bordel, Dans Paris éblouit comme en son temps le fit la Nouvelle Vague. Plaisir de cinéma où l'on sent divaguer les fantômes de Demy, Truffaut et Godard, Dans Paris n'en est pas moins l'annonce d'un cinéma moderne capable à la fois de rendre hommage et de se servir des meilleures qualités des cinéastes issus des Cahiers du cinéma. Aussi brouillon et littéraire qu'un Godard, aussi poétique qu'un Demy, aussi attendrissant qu'un Truffaut, l'œuvre d'Honoré trouve ici son apogée dans l'histoire de ces deux frères dont les ancêtres auraient pour noms : Jean-Paul Belmondo et Jean-Pierre Léaud. Si Duris resplendit dans ses douleurs existentielles c'est parce qu'il est doté d'une carrure similaire à celle d'un Belmondo dans À bout de souffle  ou Pierrot le fou. Un être blessant autant que touchant, à l'inélégance magnifique, qui dans ses drames passionnelles fait écho à quelques scènes d'anthologie de Pierrot le Fou: une divagation sur le sentiment amoureux dans les bois ou sonamante qui l'interpelle par « Ducon! » comme Anna Karina le faisait avec Belmondo. Si Garrel provoque, quant à lui, le sourire c'est par sa force comique qui n'est pas sans rappeler la fougue du héros suprême de la Nouvelle Vague : Antoine Doinel. Ses flâneries de rêveur solitaire à la recherche de l'amour dans les artères de la capitale évoque les pas du héros de Truffaut. Il y a l'errance du Antoine Doinel des 400 coups comme l'égoïsme d'Antoine Doinel de Domicile Conjugal sous le personnage de Jonathan.

 

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Foutoir de toute beauté, où les bouquins et les vinyls jouent des personnages à part entière, Dans Paris compose avec tous les arts, excelle sur tous les plans : musique composée par le fidèle Alex Beaupain, situations divinement burlesques, répliques tombant à pic, gestes touchant. Dans Paris précisément, et le cinéma d'Honoré plus largement, possèdent le charme du cinéma de la Nouvelle Vague, un charme effronté irrésistible fait de fraîcheur et de fausse naïveté. Un cinéma éternellement moderne, bouffée d'air pur dans la froideur du cinéma actuel. Film très sombre sur les faits, il est démesurément gai sur les formes, sur cette mélancolie joyeuse qui le parcourt tout en finesse. Drame qui ne raconte rien de très nouveau, Dans Paris en dit pourtant beaucoup sur les êtres. Il dit que chacun sous estime sa tristesse, alors que celle-ci est installée en chacun d'entre nous, et qu'il faut en prendre soin de cette tristesse dont un jour on meurt tous. Bel éloge de la tristesse signée d'une main de maitre et par des acteurs aussi émouvants que charmants.

 

Dans Paris Bande-annonce


 

Tag(s) : #Cinéma
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