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Spoiler. Ca débute comme dans un film chéri par n’importe quel.le abruti.e à qui on a raconté un jour que Scarface était un film culte, et qui chérit fatalement l’objet sans en comprendre les concepts chers à Brian De Palma. Dieu merci, l’âge l’y aidera. Ca débute donc comme dans ce film chéri où l’on t’assure que le monde est à toi. Idée de départ de génie : dire d’où viennent nos compagnons de route pour les deux prochaines heures comme De Palma le fit avec Tony Montana : par l’art du générique. Un générique pour annoncer la suite, pour esquisser Marseille, pour palper la ville monde. Un générique constitué d’images d’archives qui retrace l’histoire des migrants venus trouver refuge dans ce port ouvert sur l’Orient, le tout sur une musique qui prend fatalement des airs de Giorgio Modorer et la même typo rouge que ce film culte de 1983. Pour son premier long-métrage Jean-Bernard Marlin ne s’est pas embarrassé du poids possible de l’hommage, dont la culture gangsta a usé et abusé. Lui l’a utilisé comme un renfort au récit, comme un hommage au cinéma américain des années 70-80. Le décor ainsi planté, le mélodrame pouvait advenir.

Copyright Ad Vitam

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Zach quitte la prison sur le moqueur « A bientôt » d’un flic provocateur. Un sourire aux lèvres comme seul compagnon, et une éducatrice en supplément, voilà le gamin de 17 ans à l’air libre. Lâché par sa mère au chômage, le minot retourne très vite à la case départ : demander un plan au caïd du quartier pour se faire de la thune. Monnaie d’échange en poche - comprenez barrette de shit - le caïd offre comme cadeau de retour aux affaires à Zach une passe. Sur le trottoir, ce dernier repère Shéhérazade, fille qu’il avait déjà croisée par le passé. Comme lui, Shéhérazade n’a personne sur qui compter, mis à part les copines du trottoir. Aussi gouailleuse, rusée, débrouillarde et attachante que lui, elle va l’arnaquer avant de le prendre sous son aile d’abord, dans la misérable piaule qu’elle partage avec une prostituée transsexuelle, puis dans son coeur. Le mot coeur n’est jamais prononcé ici bas. Montrer qu’on en possède un relève de la bêtise du débutant. Pas de quartier pour les sentiments.  « Tu viens avec moi » lâche Shéhérazade à Zach. Ce n’est pas une question mais une affirmation. Il vient avec elle, accepte de protéger « sa petite » qui fait des passes le jour et suce son pouce la nuit, contre lui et son lapin veilleuse. Pour veiller sur elle, Zach devient à vrai dire son mac sans vraiment le demander. Il attend derrière une porte d’immeuble qu’elle enchaîne une passe à la chaîne de trois minots - scène aussi insoutenable pour lui que pour le spectateur -, il la voit monter dans des bagnoles de vieux en plein jour… Il va finir par gérer ce bout de trottoir que Shéhérazade partage avec ses copines grâce aux « collègues » qui lui viennent en aident pour y déloger des bulgares et leurs filles. Et naturellement cela va mal finir comme souvent ici bas.

Ce long-métrage qui commence comme Scarface et tourne à l’Education Sentimentale n’a rien à voir avec un énième film réaliste sur la galère au coeur des quartiers nord de Marseille. Il est comme souvent le fruit d’un amour sans frontière pour la ville monde. Marseille ne peut être filmée qu’ainsi. Ville où le réalisateur a grandi et où il a eu écho de ce fait-divers sordide qui sera la matière première pour son premier long-métrage : un gamin de 17 ans sort de prison rencontre une prostituée qu’il va aimé et dont il va devenir le proxénète. Pour maitriser son sujet, Jean-Bernard Marlin va passer 6 à 8 mois avec des prostituées marseillaises et autant de temps à caster son duo de choc. Son Zach (Dylan Robert) et sa Shéhérazade (Kenza Fortes) sont des enfants du bitume marseillais, passés par les mêmes cases toutes pétées que leur personnage. Parents démissionnaires, rues, prisons, parcours quasi identiques. Le pari était risqué de confier de tels rôles à des non-professionnels en désirant justement plus que tout éviter l’écueil du pseudo-réalisme habituel. Le résultat est lui supérieur à la moyenne. Shéhérazade ne s’embarrasse pas des apitoiements et de l'hyper-réalisme habituels, ce premier long est mené tambour battant par ces deux gosses qui ont grandi dans le même quartier, pratiquent la même tchatche,  esquissent la même séduction  et s’emboucanent à égalité.

Copyright Ad Vitam

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Dès son titre féminin, Shéhérazade laissait présageait que rien ne s’écrirait comme auparavant, avant dans ces films dont la rue et ses errances délinquantes sont les sujets principaux. Certes ici « la fille fait dans le sale », les putes des quartiers sont rivales de celles de l’est, les mecs surjouent la virilité, les « fils de pute » ponctuent une majeure parie des échanges de la gente masculine et il ne fait pas bon être une « balance » dans les quartiers mais la légende urbaine s’arrête là. Jean- Bernard Marlin fait de son fait-divers un film ouvert sur son époque en détruisant quelques codes fidèles au genre et en y intégrant cette réflexion souvent manquante : Shéhérazade n’est pas seulement un apprentissage à l’amour, il l’est aussi au respect de la femme. Toute la beauté de ce film transgenre (docu, polar, mélo, auteur) tient dans ces séquences nocturnes où l’on sent battre la trouille des sentiments  advenir comme la peur de prendre des coups d’un moment à un autre. Ces instants où une chance est donnée à l’autre de se montrer autrement que dans les rouages classiques du système des quartiers Nord, et par extension du film de rue. Avec les gestes virulents et les verbes hauts de ces deux gosses blessés et de leur troupe, Shéhérazade emballe comme du Kechiche où il faut ici suivre et survivre à la rythmique inhabituelle, s’accrocher à la tchatche, puis se délecter de cette langue des rues où le verbe « emboucaner » triomphe sur tous les autres. Ce film emballe comme du Pialat aussi, filmant la jeunesse borderline et sans compromissions, où les mots jaillissent tels des sacrés coups que l’on ne peut esquiver. Tout au long de ces deux heures tout feu, tout flamme Shehérazade nous rappelle tour à tour que le cinéma n’est pas qu’une question d’images léchées, que l’argot sur grand écran nous manque, qu’il est bon d’être bousculé assis confortablement dans une salle obscure, de perdre le fil de la langue parfois et de simplement faire confiance aux non-acteurs soudainement plus virtuoses que n'importe qui d'autre.

 

 

Le film n’aurait certainement pas le même charisme, sans celui de ses deux acteurs principaux,  habités d'un charisme fou et voyou. Diamants bruts qui électrisent la pellicule sur le point de conter une nouvelle rencontre passionnelle, accidentelle et rebelle. Jean-Bernard Marlin a l'intelligence de ne pas emmener ses acteurs, et par extension ses spectateurs, vers la chute annoncée. Son atterrissage ne sera pas forcé, ni bienséant, plutôt à l’image du reste : inattendu, lyrique, électrique et chargé d’espoir pour la suite.

Tag(s) : #Cinéma, #Shéhérazade, #Marseille, #Jean-Bernard Marlin, #Festival de Cannes, #Kenza Fortes, #Dylan Robert
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