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C'est fini. Définitivement. A deux reprises on l'avait quitté et ça nous avait déjà crevé le cœur. De devoir attendre des mois pour les retrouver. De devoir envisager se consoler avec du bas de gamme. De supporter l’insipide dialogue des autres. Cette fois-ci, pas de troisième chance pour s'offrir une nouvelle parenthèse enchantée de lecture dans un monde désenchanté. Figure de style à deux balles dans un monde rongé par le fric et le terrorisme. Elle et lui (Despentes et son Vernon) en ont définitivement terminé avec nous, mais nous n'en auront jamais terminé avec le monde qu'ils ont composé ensemble dans cette comédie humaine que constitue les trois tomes de Vernon Subutex. « Ce monde où plus personne ne veut en finir avec la misère » pour paraphraser Despentes dans la bouche d'un de ses meilleurs personnages.  Une fois qu'on a refermé le généreux livre jaune qui enferme l'époque, on aurait bien besoin d'un Subutex pour se remettre de l'histoire de Vernon, cet ancien disquaire loser, mutique et "prophète à gonzesses". A vrai dire, on aurait même besoin d'un Subutex supplémentaire pour se remettre de l'humanité entière.

C'est terminé l'époque de l'abolition de l'esclavage ou du Front Populaire. Plus personne ne veut en finir avec la misère. Vous créez trop de problème par rapport à ce que vous rapportez. C'est pour ça, c'est inéluctable : les classes pauvres, on va vous rayer de la carte.

Depuis que je suis en âge de lire des livres qui ne font pas de cadeau, du style « regarde ta sale gueule et celle de ton monde, ma grande », depuis Baise-moi et King Kong Théorie, la littérature de Despentes m'a toujours fait l'effet d'une drogue, dont le seul but serait de tout ressentir puissance 1000. Les corps, les émotions et les dialogues. Putain de dialogues. Un truc à vite consommer. Si jadis, les histoires de cette écrivaine vengeaient le deuxième sexe, mieux encore, laminaient à chaque paragraphe chaque idée préconçues sur ton sexe féminin, aujourd'hui avec son doux loser charismatique Vernon Subutex comme anti-héros, Despentes fout une grande claque dans la gueule de chaque fange de la société française, d'en bas à en haut, de gauche à droite, de peu importe ton sexe, ta sexualité, ton compte en banque et tes avis politique. Chacun a ses raisons et chacun en prend pour son grade, faisant vaciller bien des certitudes et positions et c'est bien agréable. Tristesse de l'époque que de dévorer des pages qui insultent ce que l'on est, peu importe son bord, sa place dans la société française de 2017, sans bouger ensuite le moindre petit doigt pour changer ce qui est.

Fin du mythe

Le monde de Despentes n'est plus le monde apocalyptique de Baise-moi où deux Thelma et Louise dopées à la drogue, l'alcool et le chocolat butaient en cœur hommes, femmes et enfants à tout va. Il est largement plus insupportable. Parce que c'est le nôtre, je crois. Drogué à la réalité, le dernier tome des aventures de Vernon Subutex et sa bande réussit à inclure dans son scénario, l'actualité des deux dernières années. Des attentats et des concerts au public apeuré, des décès d'inconnus et des décès d'idoles, des bateaux échoués et des yatchs au luxe indécent, des places publiques aux airs de 68 et des soixante-huitard vendus au grand capital, des gauches dérivant à droite et des redites de droite, pas mal de haine – et dieu sait que Despentes excelle pour la retranscrire – et puis finalement de l'amour grâce aux convergences de Vernon et des siens.

Il ne dit pas ce qu'il pense. Il pense que personne n'est solide. Rien aucun groupe. Que c'est le plus difficile à apprendre. Qu'on est locataires des situations, jamais les propriétaires.

Il faut inciter toutes les femmes reproductrices à se faire échographier pour déceler l'enfant mâle et l'avorter. Ça lui paraît lumineux. Moins de mâles, moins de guerre. Elle voudrait savoir pourquoi aucune société tente le coup. Tant que les femmes consentiront à faire naître des bébés mâles, l'humanité restera un bourbier dégueulasse. Olga est convaincue que c'est la solution.

Les gauchistes sont les plaies des convergences. Ils se pointent avec leur petites mines de chefs de rayon jamais satisfaits des efforts de caissières. Ils s'offusquent de ce qu'un gars comme lui puisse suggérer que les chrétiens et les musulmans aient du mal à cohabiter. Est-ce qu'ils se mélangent, eux ? Ils l'ont sous les yeux, la réalité, dans sa superbe réciproque : personne ne peut saquer personne. On n'a pas envie de vivre ensemble

Si Vernon laisse une pensée se dérouler - il voit le matériel. Les grenades la kalach, les balles. Ces objets qui sont fabriqués. Qui n'ont pas été détournés de leur usage. Ils sont produits dans les usines pour ça. Tuer démembrer arracher brûler. Il n'y a pas d'accident. Il y a des objets performants. On sait ce qu'ils deviendront. A quoi ils serviront. Il n'y a aucune ambiguïté. Les gens sont choqués. Il y a pourtant peu de chance pour qu'une grenade serve de presse-papiers. Elle fait ce qu'elle a à faire, la grenade. Comme la kalach. Comme le fusil. La seule variante de l'équation, c'est : connaissais-tu les gens avant qu'ils deviennent des cadavres ?

Inutile de spoiler, la fin de cette remuante épopée hexagonale. A la fin de celle-ci, Bowie, Lemmy et Prince ont bel et bien tiré leur révérence,  les salauds. Et on imagine le cœur lourd de l'écrivaine la plus punk de France devant ajouter ces morts au récit, sans compter tous les autres partis un soir d'extrême liberté. Dans cette cartographie de la société française où chacun se retrouve représenté (du bobo, de l’extrême, du riche, du pauvre, de la pute, de la lesbienne, du trans, des pères divorcés, de la mère de famille, des terroristes, du chômeur, du sdf, des alter mondialistes et même des Hells Angel) figure un autre personnage, sûrement supérieur à tous, car plus fidèle et plus transcendant que quiconque : la musique. Lire Despentes c'est construire des playlists, glaner des inédits, se remémorer de chouettes souvenirs musicales et désirer en vivre de nouveau pour planer ou fuir. La musique dans la littérature de Despentes - et dans ce dernier roman plus que jamais - c'est frôler l'égalité, la communion, la sérénité. C'est écouter Madonna, puis Barbara, les Bee Gees, l'Internationale, Mary J Blige et enfin Leonard Cohen. Son Vernon est un ancien disquaire qui a le pouvoir de faire communier des êtres d'horizons bien différents par la grâce de ses playlists. Et elle a le pouvoir de nous faire communier avec la réalité, qu'on la haïsse, l'aime de temps en temps mais la laisse tranquillement faire le plus souvent. Voilà, tout est dit. Ce Vernon commence avec le Lazarus de Bowie, la disparition d'un géant, puis cela se boucle au troisième millénaire où contre toute attente « on continue de danser dans le noir, sur une musique primitive dont le culte semble ne jamais vouloir s'éteindre ».  Ce Despentes ne s'éteindra jamais dans nos mémoires.

Tag(s) : #Littérature
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