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Jusqu'au 16 mai, le Centre Pompidou rend hommage à l’œuvre rebelle et colorée du peintre Gérard Fromanger. Au programme : pavés rouges, idées contestataires et intellectuels comme on n'en fait plus. Une rétrospective exaltante où l'art pictural se met au service du peuple qui bat le pavé pour ses idées. Et donne envie d'en envoyer quelques uns contre l'époque actuelle. Clairement à ne manquer sous aucun prétexte !

 

Les œuvres de Gérard Fromanger vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître – mais que beaucoup se plaisent à idéaliser ou à ironiser. Le temps de ce fameux Paris au joli mois de mai, ses pavés contre les CRS, son désir de virer au rouge et d'en terminer avec la société de consommation, son amour inconditionnel pour les intellectuels qu'ils soient issus de la littérature, de la philosophie ou du cinéma. La peinture de celui qui fera ses classes au sein de l'Atelier populaire des beaux-arts de Paris en plein mai 68 est à l'image de cette époque : rebelle, désireuse d'en découdre avec la France conservatrice de l'homme du 18 juin, d'en venir au main avec la France à papa.

 

Si les étudiants soixante-huitards jettent des pavés sur les CRS, Gérard Fromanger jette des formes d'une incroyable modernité sur la toile blanche, l'asperge de couleurs primaires et s'imprègne de la réalité pour en construire une image engagée. Engagée dans quoi ? Dans une lutte picturale en accord avec la lutte du peuple. Peuple star de ses toiles, qu'il peint dans les rues de Paris, vivant, battant le pavé pour manifester, aller travailler ou mourant pour ses convictions telle l'impressionnante toile - par sa taille et sa force évocatrice - en hommage à Pierre Overney, jeune militant maoïste assassiné en 1972 par un vigile de l'usine Renault. Le jeune artiste s'emploie à contester le réel par l'emploi de la couleur et du traitement des surfaces. Pour capter ce réel en proie à la transformation, il utilise la photographie et notamment un outil très utilisé par les photoréalistes, appelé épiscope. Ce rétroprojecteur reproduit l'image sur la toile, le coloriste peut se laisser aller ainsi à revoir le monde sous son œil engagé. En découpant d'un œil curieux cette flopée de toiles habitées par les détails graphiques phares du Paris de l'époque (kiosques à journaux, immenses publicités ou affiches de film...), il est affreusement tentant d'élaborer un raccourci avec les règles d'or du pop art. Fort heureusement, l'idée est très vite balayée au fil des six salles consacrées à l’œuvre du jeune contestataire. Fromanger portraiture ses amis les plus célèbres (Prévert, Godard, Barthes...) certes, mais surtout ils pratiquent la même œuvre qu'eux : militante, habitée par les luttes de la décennie et en constante action de penser.

La Mort de Pierre Overney - Gérard Fromanger

La Mort de Pierre Overney - Gérard Fromanger

Dès la première salle consacrée au rouge, couleur star de son œuvre, on s'en veut d'avoir osé élaborer un tel parallèle réducteur pour l'artiste français. Sur ces toiles, la couleur primaire incarne le signe chaud d'une résistance de la vie contre la logique marchande qui s'empare de l'espace urbain. Le rouge est la couleur choisie pour peindre les silhouettes de passants passifs, victimes consentantes et sans âme de la société de consommation qui circulent sur le boulevard des italiens. Le rouge est naturellement la couleur qui coule sur le drapeau français. Mieux encore, la couleur phare est filmée par Godard himself. Un rouge dégoulinant sur le blanc du drapeau national, allégorie stupéfiante du sang qui coule sur les pavés parisiens. Emblème de la peinture, il s'utilise ici comme le symbole d'une contestation sociale en ébullition. Une contestation qui trouve sa source d'inspiration dans la rue et reprend possession d'elle par une autre œuvre surprenante baptisée « Les Souffles », une immense installation de demi-sphères translucides rouges qui permettent aux parisiens d'alors de regarder le monde autrement, sous le prisme de la couleur révolutionnaire. Placée à la sortie du métro Alésia, l'installation vaudra à l'artiste une contravention. La couleur est le véritable code de son œuvre entière. Dès 1967, il dispose verticalement sur certaines de ses toiles les six éléments d'un charte chromatique, elle devient un véritable leitmotiv qui empêche toute naturalisation de son œuvre et le rapproche de la figuration narrative (mouvement prônant le retour au figuratif pour contrer l’abstraction).

Film Tract n°1968 - Jean-Luc Godard et Gérard Fromanger

Son talent graphique sert sa cause politique. Son art est une tribune formidable. Ses couleurs sont des pavés jetées à la face de la société de consommation qui règne en despote dans les rues parisiennes. Sa vie d'artiste, il ne l'imagine pas dans une tour d'ivoire. Il la peint ou plutôt la place entre l'atelier et la rue. Dans la série, « Le Peintre et le modèle », la silhouette noire de l'artiste se détache, devant le spectacle de la rue. Au cœur des seventies, il commence à questionner l’avènement d'une société de l'information à tout-va et donc ses limites. L’œuvre la plus marquante sur la question arrivera pourtant à l'aube des années 90. Suite à la guerre du Golfe, Gérard Fromanger peint une toile monumentale où des images de guerres se mêlent à des images de toutes natures, de toutes origines et de toutes époques. Ces vignettes de scènes de guerre s'entrechoquent, se chevauchent avec une vignette d'une œuvre symbolique : Courbet en train de peindre « L'Origine du Monde ». L'ensemble est traversé par des faisceaux de lignes colorées évoquant la saturation d'un monde pris dans l'étau de l'information et des flux d'images.

 

Avant de quitter cette expo, et ce monde vif et exaltant où il n'était jamais question de le peindre mais plutôt de le défaire pour mieux le penser, un petit tour à la librairie s'impose. Comme un dernier geste militant. Comme un prolongement de la compréhension de toutes ces expérimentations picturales. Là, sur les étales, la crème de la crème. Debord, Deleuze, Foucault, Godard... Des noms livrés comme des explications. Des livres sur la société du spectacle. Des toiles pour la dénoncer. Des œuvres soudées ensemble, les mots et les couleurs au service d'un combat : une tentative pour mieux penser, pour penser tout court et ouvrir les yeux pour voir que sous les pavés, il n'y avait pas la plage mais la plus belle tentative pour tout bousculer.

Godard par Gérard Fromanger

Godard par Gérard Fromanger

Tag(s) : #Exposition, #Centre Pompidou, #Gérard Fromanger, #Godard, #Mai 68
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