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Tu crois tout savoir d'eux, mais en fait tu ne sais rien. Et pour cause ces types « ont cramé 20 vies au moins ». C'est l'un d'eux qui le dit. 20 vies dans les deux décennies les plus riches du siècle dernier, alors que toi tu n'en as qu'une dans un siècle qui semble déjà voué à l'échec. Après un documentaire démentiel d'Arte, en plein summer of scandal, en plein été plombé par les mauvaises nouvelles d'une autre race de celles qui frappaient les deux décennies les plus marquantes du siècle dernier, impossible de trouver le sommeil. Trop excitée par le caractère inédit de certaines images, trop aveuglée par la beauté destroy des garçons, trop sous l'emprise des histoires connues par coeur, trop perdue dans les chansons à te redemander une nouvelle fois si « Let It Bleed » n'est pas meilleur qu' « Exil On Main St », question essentielle dans la vie il faut bien l'admettre. Après avoir changé de côté une vingtaine de fois pour faire venir ce putain de sommeil, tu te demandes enfin pourquoi tu les aimes tant que ça. C'est vrai ça, qu'est ce qui fait rouler notre amour pour les pierres qui roulent, ces vagabonds, ces pirates depuis tant d'années, un demi-siècle ? Pourquoi on se tape et retape les mêmes images en noir et blanc de nanas en transe, de déhanchés diaboliques de Mick esquivant la décence, de sourires délicieusement narquois aux lèvres de Keith guitare en main et du visage flegmatique de Charlie à la batterie ? Pourquoi on se fait du mal à mater une nouvelle fois le visage mort de trouille de Jagger sur scène à Altamont ou l'air filou absent du regard de Brian Jones sur le tournage de « Sympathy For The Devil » ? Pourquoi en sommes-nous encore là, au même stade régressif comme des nénettes de 1969 en transe aux premières minutes de « Gimme Shelter » ?

La sensation spéciale

Les Stones sont un refuge reçu en héritage. Mon père était incapable d'expliquer pourquoi ils étaient supérieurs aux Beatles, mais ça se passait de mots cet amour-là, cette admiration, ça se lisait sur son visage. Je suis incapable de l'expliquer moi-même aujourd'hui cet amour-là, je pense même que musicalement la bande de John étaient au-dessus du lot, mais la bande de Mick avait ce truc spécial qui manquait à tous les autres. La foule en liesse, les « fuck » et les bouteilles de Jack Daniel's, les drames, les flics au cul, le fisc anglais avec, les histoires de cul, les échanges de nanas, les tournées, la cave de la villa Nellcôte et la piscine dans le Sussex, Anita et Marianne, la bouche de Mick et la tignasse de Keith, Hyde Park et Altamont, Anastasia et Kennedy, Jésus Christ et le Diable, les Some Girls et les Brown Sugar, je pourrais continuer la liste pendant des heures, elle ne se bouclera jamais parce qu'on ne veut pas se dire qu'un jour elle se bouclera. Mais elle est bouclée depuis longtemps déjà, depuis trente ans grosso modo. D'ailleurs ce FANTASTIQUE documentaire d'Arte où Mick et les siens commentent en voix-off leur aventure de 50 ans ne s'arrête pas pour rien au cœur des années 80, comme s'il n'y avait plus rien à dire sur les deux décennies suivantes. Circulez, il n'y a plus rien à voir. Juste à entendre.

Entendre les tubes. Entendre les lèvres jeunes et déjà mythiques de Mick répondrent à un journaliste qui demande de quoi est-il  insatisfait par un laconique « De la génération qui dirige nos vies ». Entendre Keith vieillard, le rire comme meilleur geste d'élégance qui raconte sa réponse au juge canadien après son arrestation « Votre morale étroite ne m'intéresse pas », suivi d'un rire gras facile à authentifier. Entendre les enregistrements, les tentatives de sons échoués, les lives tonitruants. Entendre le rire de pirate de Keith et la lascivité dans la voix de Mick, les cris des nanas et le bruit du monde en train de changer, ou plutôt en plein désir de changement. « When i saw it was a time for a change ». Le « change » n'est jamais arrivé, le monde nouveau a capitulé avant même d'être né, mais cette musique du diable l'a frôlé, magnifié et on ne peut donc se consoler qu'avec elle. Les Stones en vérité ne se souciaient pas de ce changement. Car quand les Stones sont nés sur le bitume de Dartford, quand Mick et Keith se sont croisés à peine adultes, des disques sous le bras, ils ne cherchaient pas la célébrité, le message politique ou l'argent. Ils désiraient juste jouer comme Muddy Waters ou Chuck Berry, établir une connexion divine avec les gens et fuir ces limites imposées par la société sage, ennuyante et triste à mourir de leurs parents.

 

« Quitter la planète terre. Planer parce que tu joues avec une bande de types qui ont le même but que toi. Tu sais que la plupart des gens ne ressentiront jamais ce que tu ressens, une sensation spéciale » dixit ce vieux pirate de Keith . Une « sensation spéciale » voilà ce qu'incarne le son stoned des Stones même cinquante ans après, malgré la descente aux enfers à Dopeland, le fric, le fisc, les stades, un cadavre dans une piscine et un autre en plein festival, les albums, les querelles et tout le reste. A côté de tout ça, il demeure quatre gamins presque immortels, dont deux gamins, frère jumeaux à tendance ennemi, tentant d'apprendre à jouer comme des blacks dans un appart trop étroit, des mômes éternels qui composent toutes les nuits et des tubes pamphlétaires sur les frustrations de l'homme moderne. Les frustrations existent toujours, et les quatre pirates survivants des deux plus belles décennies du siècle dernier aussi. Notre amour pour eux ne crèvera donc jamais à l'inverse de bien d'autres.

Tag(s) : #Musique, #Rolling Stones, #Keith Richards, #Mick Jagger, #Charlie Watts, #Arte, #documentaire, #rock, #années 60
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