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Suite logique d'une filmographie basée sur la tragédie d'une existence, son vide perpétuel et sa solitude insolvable, Somewhere respecte la Sofia's touch à la perfection. Il la transcende même en l'aidant à franchir une étape décisive : l'âge adulte. Somewhere est le récit de cet âge infâme, où la souffrance est toujours au rendez-vous, une souffrance poétisée par l'esthétique d'une cinéaste fabuleuse qui même avec du vide réussit à construire un cinéma désirable. Un vertige irrésistible.

 

Somewhere1Sofia Coppola ou l'art de faire du beau avec (presque rien). Telle est le tour de magie fantastique exercée par fifille Coppola depuis quelques années maintenant. De Virgin Suicides à Marie-Antoinette, en passant par l'excellent Lost in Translation, Sofia Coppola a construit un univers vaporeux, où (toujours) des ravissantes et cristallines têtes blondes déambulent dans la vacuité de l'existence avec une élégance étourdissante. Des rues bondées de Tokyo au Versailles baroque de Marie-Antoinette, la reine de la photogénie s'attarde sur ces « temps morts » qui peuplent les existences de tous, de tous temps et de tous lieux.

 

Nous voici ici, pour ce nouvel épisode de la Coppola's touch, à contempler l'existence chaotique, glauque, ironique et tragiquement moderne de Johnny Marco. Le nom est sexy. Et pour cause ce Johnny-là est une star de l'écran interprétée par Stephen Dorff, enfant de Hollywood dans le creux de la vague, que Coppola filme ici comme s'il s'agissait d'un formidable cas d'étude, un film quasi-documentaire. La vie de Johnny Marco se résume à une chambre d'hôtel louée à vie, des filles à gogo dont il ne retient jamais les prénoms, des clopes et de l'alcool toujours à portée de main. Un beau jour, Johnny voit débarquer sa fille Cléo, une préadolescente exquise interprétée par Elle Fanning (éblouissante petite sœur de Dakota). Cléo est le prototype de l'héroïne chérit par Coppola, son exact contraire : beauté blonde, au teint pâle, rappelant la Kirsten Dunst des débuts. Dans ce décor vaporeux, où papa Johnny croise, aussi bien en promo dans une Italie ridiculement berlusconnienne que dans son château californien, des femmes qu'il a vaguement connu le temps d'une nuit, Cléo observe, toujours en retrait, les grands et leur tragédie.

 

Jamais Cléo n'évoquera cette inconsistance de la vie, jamais elle ne posera une question de trop à son cher papa, avec lequel elle vit une parenthèse enchantée au paradis (ou serait-ce l'enfer des stars ?). Une redécouverte mutuelle de ces deux êtres, dont on distingue mal qui est l'adulte qui est l'enfant, que la caméra de Sofia Coppola capte par des instants touchants de simplicité : la préparation d'un petit déjeuner, une partie de Guitar Hero, une baignade, un bain de soleil. Des moments d'innocence volées entre les murs du Château Marmont. Une innocence qui s'envole et contre laquelle ils ne peuvent lutter. Ce Coppola suinte le vécu, et parce qu'il compose avec la tragique vérité de la vie de star, de la vie tout court, il émeut de façon inconsciente.

 

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Somewhere a pour théâtre de jeu un palace à l'ancestrale renommée : le mythique Château Marmont, hôtel légendaire de Los Angeles, temple du tout Hollywood où, depuis les années 30, les stars d'un soir ou d'une décennie viennent brûler leurs ailes et jouer de leurs caprices. Abrité dans cet hôtel de luxe, Johnny Marco ne sait pas quoi faire de lui-même jusqu'à ce que sa douce progéniture débarque. Il y enchaîne les soirées sans grande conviction. Multiplie les conquêtes d'un soir sans effort. Tourne en rond dans dans sa chambre ou au volant de sa Ferrari rutilante. Il pourrait être le prototype de star que l'on aime mépriser et pourtant on préfère le contempler béatement comme lui contemple naïvement les nymphettes blondes qu'il paye le soir dans sa chambre d'hôtel pour un tour de pole dancing aussi glauque que ravissant. C'est là que la magie Coppola opère : doit on sourire ou pleurer face à ce triste spectacle scrupuleusement croqué par l'œil esthétique et désenchanté de la cinéaste ? Telle est la question.

 

L'art de Sofia Coppola est de filmer la torpeur, suggérée à chaque instant par ces longs silences, ces plans fixes dépourvus de toute vie, de tout dialogue, tout ce non-sens à portée du regard sans un seul instant ennuyer notre regard de spectateur. Sa curiosité extrême et discrète sur l'âme humaine captive. Dans une époque où tout se sait et tout se voit, sa curiosité à elle est dotée d'un charme presque enfantin, comme une petite fille qui observerait en douce le monde décadent des grands. Cette petite fille, Sofia Coppola la connait bien. Elle a endossé ce rôle au temps des eighties et de son Papa Coppola dieu du cinéma. Parce qu'elle a côtoyé ce château moderne, déambulé dans ces longs couloirs, observé serviteurs et clients, son exploration est infiniment réaliste et fascinante.

 

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Son Somewhere est une contemplation captivante sur l'existence des stars d'aujourd'hui, d'hier, de ces grands d'un jour comme sur l'existence d'une modeste personne qui pourrait être vous ou moi. Cette contemplation aux faux-effets de somnolence, faussement mineure, ne nous dit rien en apparence et finalement elle nous dit tout. Sofia Coppola y glisse au hasard de ses scènes père/fille des questionnements terrifiants sur la finitude de nos existences, ces questions qui surgissent l'espace d'un instant pour s'enfuir dès la seconde suivante : le traditionnel et tragique qui suis-je ? Ou vais-je ? Que n'ai-je ? Ce vertige existentiel que l'on tente de combler en vain contre cette terrifiante finitude humaine qui est la notre. Les détracteurs de l'esthétique Coppola l'accuseront sans doute de stagner dans son univers à l'apparence lisse, cet endroit à la fausse stabilité et au bonheur illusionniste, la vie de star qui est certainement celle de la cinéaste et de ses proches. Mais ces détracteurs ont un triste tort : ne pas comprendre qu'ici ou ailleurs, l'existence humaine est soumise à la même souffrance. Un triste abandon invisible, un vide absolu, qui pousse Johnny, comme n'importe quel mortel de cette terre, à contempler une tragique vérité au beau milieu de la nuit: « Je ne suis rien ». Une vérité sublimée par Sofia Coppola. 

 

Somewhere de Sofia Coppola Bande-annonce

Tag(s) : #Cinéma
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