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Paris. 1913. Coco Chanel partage son temps à son travail, la haute couture, et à son grand amour, Boy Capel. Un soir au Théâtre des Champs-Élysées, elle assiste à la première représentation du Sacre du Printemps de Stravinski à Paris. Alors que le public siffle et exècre la modernité, Chanel demeure impassible. Subjuguée par tant d'audaces, elle tombe amoureuse de ce langage nouveau. 7 ans plus tard, Coco Chanel est couronnée par le succès mais dévastée par la mort soudaine de son amant. Un soir, lors d'une fête entre amis, on lui présente le compositeur russe Igor Stravinski. La rencontre est brève et électrique. La passion, quant à elle, durera quelques mois.


2009 fut bien l'année de Mademoiselle Chanel. La dernière en date à s'être intéressée à cette grande dame de la haute couture était Anne Fontaine avec un long-métrage sur les premières années, années de galère, de Gabriel Chanel. Ici, chose surprenante, Jan Kounen, le réalisateur de Dobberman et 99 Francs, est à l'origine du projet. Un homme se penche sur l'histoire intime de cette petite couturière devenue grande dame de la mode et symbole d'un féminisme avant-gardiste. Bien plus qu'un banal et énième film sur Coco Chanel, Jan Kounen offre l'agréable occasion de découvrir un compositeur d'une modernité, qu'on imagine effarante pour l'époque. Les ritournelles dramatiques de Stravinski hantent le film et le fait vivre avec magnificience. Avec des personnages d'une telle envergure, Jan Kounen s'est évertué à créer l'histoire d'une passion. Passion éphémère entre deux artistes, deux corps, deux égos aux carrures éclatantes. Coco Chanel et Igor Stravinski conte l'histoire de deux personnalités aux arts radicalement différents (aux yeux de l'homme) et pourtant tellement similaires (aux yeux de la femme).


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L'histoire s'ouvre sur une scène démonstrative, et presque incontournable lorsque le sujet s'avère être Coco Chanel. D'un coup de ciseau, Chanel se libère de son corset et amorce, par ce geste, la libération de générations entières de femmes. Quelques heures plus tard, on la retrouve rayonnante de beauté et de sobriété dans les allées du Théâtre des Champs-Élysées. Elle s'immisce en marge des autres femmes, de leurs tenues et parures exubérantes. L'orchestre et les danseurs s'échauffent. Le silence arrive enfin et le rideau s'ouvre sur un spectacle inconnu, un ballet d'une outrageante modernité, une musique au langage nouveau. La scène d'ouverture est à couper le souffle. Presque 15 minutes de danse effrénée et d'une musique d'une tension extrême, le tout sous les sifflets et injures d'un public bourgeois à la morale étriquée. Outre la première rencontre (artistique) des deux artistes, Jan Kounen réussit à esquisser les contours d'une époque clé : le début du siècle sa nécessité de modernité et sa peur farouche de cette dernière. Cette scène magistrale où la tension est à son comble devient alors prétexte à peindre les mœurs conservatrices de l'époque et à rapprocher les deux artistes de façon subtile : ceux qui dénigrent la beauté de l'œuvre de Stravinski ne sont autres que ceux qui médisent l'œuvre de Chanel. Quelques années plus tard, le compositeur russe et sa famille se sont retrouvés contraint à fuir la révolution russe et à se réfugier en France. Nous sommes alors en 1920, Coco Chanel vient de perdre l'homme de sa vie, Boy Capel, dans un accident de voiture. Un soir, elle est amenée à être présentée à Stravinski. Les présentations sont respectueuses et tout en retenues. Ainsi, lors de cette soirée, les personnages se croisent, se frôlent mais s'adressent à peine la parole. Il en sera de même pour le reste du film.


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Là où certains constateront un essoufflement de la passion amoureuse de ces deux artistes du début du siècle, d'autres y apercevront une passion d'une sobriété magnifique en surface et d'une ferveur imperceptible dans les âmes des deux protagonistes. Alors que Igor Stravinski multiplie les échecs, Coco réussit tout ce qu'elle entreprend. Elle propose au compositeur de l'héberger, lui et sa famille, dans sa villa de Garches afin qu'il puisse travailler convenablement à son art. L'acte semble inapproprié pour l'époque, pourtant Stravinski accepte. Certainement parce qu'il est captivé par l'indépendance et la beauté de cette femme qui a construit son empire à la sueur de ses mains. La romance peut alors débuter pense le spectateur. Faux. Les dialogues se font rares, ils ne sont que formules de politesse et incapacité à dévoiler des sentiments et désirs inavouables. La rareté des mots laissent place aux mots présagés par l'image. Jan Kounen joue à la perfection de cet esthétisme magistral bercé dans le noir et le blanc de la griffe Chanel. Le style épuré des décors et de la garde-robe de Mademoiselle Chanel laissent entrevoir une liaison passionnée, urgente et brève. L'image des deux corps de Igor Stravinski et Coco Chanel parle d'elle-même. Les corps et les regards de ces deux-là parlent, s'apprivoisent et transmettent une émotion d'une rare intensité. Près d'une heure plus tard après cette scène d'ouverture d'une force incroyable et d'une première rencontre foudroyante, le premier baiser intervient par la volonté d'une femme en avance sur son temps et sur les mœurs. Le baiser laisse immédiatement place à une scène d'amour d'une délivrance ahurissante. A la fois attendu et craint, l'acte sexuel s'avère être pour les personnages une libération. La libération de non-dits écrasants, de désirs refoulés, de sentiments inavoués et importuns.

 

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La suite des évènements est la suite classique de toute passion amoureuse. L'intensité des corps laissent place à la tension des actes irréparables. Sous les yeux de la femme de Stravinski, les amants se désirent, s'aiment puis se déchirent. Chacun tentant de protéger les protagonistes et témoins de cet amour sans lendemain. Le cinéaste Jan Kounen filme avec élégance autant les scènes d'amours des deux artistes que leur bataille d'ego. Car très vite, il n'est question que de cela : la confiance et le respect de l'art de l'autre. « Je suis plus puissante que vous Igor » lâche Chanel, avec la fermeté d'une femme indépendante. Stravinsky, avec la rage d'un mâle prétentieux, répondra : « Vous n'êtes pas une artiste Coco, vous êtes une vendeuse de tissu ». À partir de ces quelques mots de trop, Coco s'éloigne et regagne son indépendance de cœur et d'esprit. Le travail chez eux prend les traits d'une vengeance intelligente. Chanel s'évertuera à déceler l'alchimie parfaite de son parfum. Quant à Stravinski, il s'acharnera sur son papier à musique pour trouver enfin la voie du succès.


Loin des tons subversifs de ces précédents films, Jan Kounen signe un film à contre-courant dans sa filmographie. Une œuvre sur deux artistes à contre-courant eux aussi, souvent incompris par leur époque. La passion discrète mais brûlante de ces deux grands précurseurs, dans leurs arts respectifs, est un plaisir pour les yeux mais aussi pour les idées. Coco Chanel et Igor Stravinski est l'histoire d'une passion, certes, elle est également et avant tout l'histoire d'une femme qui mène sa vie comme elle l'entend, un modèle d'élégance et de fermeté. Interprétée par l'égérie actuelle de la maison Chanel, la captivante Anna Mouglalis, Coco Chanel est livrée comme un personnage complexe, impassible mais généreuse, libre mais amoureuse. À bien des instants, elle prend les traits de ceux qu'elle voulait que son parfum soit : « Une alchimie. Le parfum doit être aussi complexe qu'une personnalité ». Aussi complexe qu'une femme, sans doute.


 


 

Tag(s) : #Cinéma
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