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Ces récits inondent les librairies. Volent la vedette aux personnages de fiction. Font la part belle aux êtres fantasmés par des générations entières. Sont-ils des impostures littéraires ou de véritables romans aux émotions bien différentes ? L'Année studieuse contée par Anne Wiazemsky appartient à ces récits en vogue. Ceux dont on ne sait si on les dévore pour la beauté de leur prose ou leur possibilité offerte d'entrer dans l'intimité d'une époque qu'on aurait voulu nôtre.

 

67, année initiation

 

67. Année pré-révolutionnaire. Année pré-année érotique. Année studieuse pour une jeune fille sérieuse et entêtée, admiratrice du Castor et éprise de cinéma : Anne Wiazemsky. La demoiselle, petite-fille de François Mauriac, devient, cette année-là, épouse de Godard. Un an plus tôt, l'actrice d'Au Hasard Balthazar de Robert Bresson écrit une courte lettre au réalisateur d'À Bout de souffle. Elle y exprime son admiration pour Masculin/Féminin. Puis confie son amour pour l'homme qui se cache derrière la caméra. La lettre est postée. Direction Cahier du cinéma, 5 rue Clément Marot, Paris VIIIe. Godard la lit. Chose qu'il ne fait jamais. Il l'appelle. Suivront d'adorables flirts en décapotable, des déclarations d'amour enflammées, des discussions farfelues comme dans un film de Godard, des nuits d'amour dans l'appartement de La Chinoise, des disputes familiales, l'avènement d'un mois révolutionnaire en arrière plan et un mariage burlesque pour le plus grand des cinéastes. Le tout filant sur une année prometteuse de lendemains qui chanteront pour les uns et déchanteront pour les autres. 67, initiation à l'amour, à la vie, au cinéma, à l'indépendance pour une jeune fille témoin privilégié d'un beau monde et d'une époque en mouvement.

 

Anne Wiazemsky

Le mouvement. C'est ce qui caractérise l'esprit d'Anne Wiazemsky. « Petite-fille de » et fatalement prisonnière d'une bourgeoisie bien française que mai 68 tentera de détruire à grand coup de pavé, Anne Wiazemsky fait figure de charmant petit monstre dans un univers bien lisse. L'insolence du geste la caractérise d'un bout à l'autre de cette année 67. Il y a d'abord ce geste fou : envoyer une lettre à Godard. Puis faire entrer Godard dans sa vie. L'aimer comme on aime un garçon en vacances d'été. Avec l'insouciance du jeune âge et la crainte de revenir à la réalité. La réalité est celle d'une bourgeoisie parisienne complètement déconnectée des désirs de la jeune fille de 19 ans comme de toute une jeunesse. À son retour à Paris, la jeune Anne devra faire coexister son amour-admiration pour cet homme exceptionnellement hors normes et l'avis bien pensant d'une famille qui a horreur de cette liberté qu'on accorde à tout bout de champ dans les années 60. Son initiation à la vie accompagne en filigrane la prochaine révolution menée en arrière plan par une génération éprise d'égalité et de liberté. Ne croise t-elle pas sur les bancs de la fac, un jeune homme roux, un brin dragueur, au charisme déjà ravageur ? Ce n'est pas seulement une histoire d'amour qui est en marche lors de cette année studieuse, c'est mai 68 qui construit sa dialectique. C'est toutes ces libertés que le joli mois de mai s'apprête à offrir à une jeunesse trop longtemps muselée.

 

Une année studieuseAmour & admiration

 

Les années 60 sont d'une beauté insolente au bras de cette jeune fille qui se balade dans le tout Paris accompagnée de sa fidèle chienne surnommée Nadja en hommage à Breton. Nadja aussi aura du mal à gagner sa place dans l'appartement familial. Là-bas, tout est une affaire de combat : il faut faire accepter Nadja, Jean-Luc, les cours de philo avec Francis Jeanson, le désir de s'inscrire à la fac de Nanterre... Une année studieuse aurait pu s'intituler une année pour se battre. Car avant la bataille de 68 dans les rues de Paris, la jeunesse devait se battre pour obtenir quelques maigres instants de liberté. La liberté de choisir sa vie. La liberté d'échapper au fameux « destin fangeux » qu'évoquait Beauvoir. Celui-là même qu'on réservait aux femmes. La petite Anne, au bras de son Jean-Luc, se fabrique son propre destin. Sans pesanteur, sans grandiloquence, l'écrivaine livre avec l'inconscience précieuse du jeune âge retrouvée les rencontres marquantes parsemées au gré des mois de 67. Il y a Truffaut dans son bureau des Films du Carosse. Puis Jean-Pierre Léaud sur le tournage de La Chinoise, un Léaud « sublime à l'écran et émouvant dans la vie ». Jean Vilar, figure mythique du Festival d'Avignon. Et tant d'autres encore. L'écrivaine confie ce que la jeune fille fut incapable de formuler à l'époque : « Dans mon amour pour Jean-Luc, il y a avait l'amour de son métier, de ses films et de ses amis. J'étais autant amoureuse de lui que de son univers. Oui, à ses côtés, le printemps 1967 était délicieux. »

 

Godard le romantique

 

Aux côtés d'Anne Wiazemsky, la littérature est délicieuse. Limpide comme un sentiment amoureux. Belle comme un plan de Godard. Ce n'est pas un hasard si dans les scènes où le réalisateur et l'étudiante s'affrontent ou s'aiment éperdument on entrevoit des plans à la Godard. Du cinéaste, l'écrivaine dresse, au premier abord, un portrait inédit, éloigné de cette posture de maître de la Nouvelle Vague et de cette certaine idée de ce que doit être le cinéma. Mais très vite, le Godard d'Anne Wiazemsky, nous rappelle d'autres hommes. Ceux captés, crées par le cinéaste lui-même. L'insolence d'un Michel Poiccard, la fougue irrésistible et la poésie inventive d'un Pierrot le Fou, les fautes d'un Paul Javal ne sont jamais très loin. Son Godard n'est que la réminiscence de tous les hommes de Godard. À la fois fou amoureux de son étudiante, généreux, tendre, romantique, plein de poésie, il peut être l'instant suivant fou de jalousie, extrêmement possessif, arrogant voir méprisant. L'homme dans toute sa splendeur. D'une justesse inouïe, la jeune fille semble ne préférer se souvenir que des épisodes où une « malice enfantine émanait spontanément » du maître du 7ème Art. Le portrait dessiné est celui d'un enfant affectueux, capricieux (quand il a peur que sa muse tombe amoureuse de son meilleur copain Truffaut) et curieux de tout. De la vie comme des êtres qui la traversent. Sous sa plume, c'est plus qu'une histoire d'amour qui s'écrit. C'est tout le cinéma de Godard qui s'explique. Celui qui derrière ses lunettes noires dissimulait une « grande tristesse, une tristesse calme, comme résignée, qui tranchait avec son agitation intérieure ».

 

Dans cette histoire d'amour à la fois comme les autres et totalement exceptionnelle pour son époque et les êtres qu'elle lie, Godard joue l'enfant au goût fortement prononcé pour le drame. Anne Wiazemsky, malgré « ses états d'âmes très mauraciens », demeure quant à elle l'adulte responsable à la recherche d'un destin à construire. 67 n'était bien pour elle qu'une initiation, qu'un premier pas vers la liberté, vers l'amour, vers le cinéma. Godard lui cite la dernière réplique de La Chinoise pour conclure l'année 67 et le roman : « Je m'étais trompée. Je croyais avoir faire un grand bond en avant alors que je n'avais fait que les premiers pas d'une longue marche ». Ces deux-là et leur alchimie exquise feront un bout de chemin ensemble jusqu'en 1979, date de leur divorce. Entre temps, il y aura eu 6 films en commun. Un festival de Cannes sacrifié. Un mois de mai inoubliable. Et le délitement d'un amour comme dans un film de Godard.

 

Une Année studieuse d'Anne Wiazemsky (Gallimard)

Tag(s) : #Littérature
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