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Cinquante ans ont passé. De lui, il ne reste que des visages. Multiples visages puisés dans des textes de légendes. Le Cid, Ruy Blas, Lorenzaccio, Caligula. Monstres des planches et de la culture française, tous ces visages n'ont eu qu'un seul et même visage. Celui de Gérard Philipe. Jeune premier du cinéma français devenu petit prince des planches, l'acteur cristallisa, en l'espace seulement de vingt ans de carrière, toutes ces qualités éparses dont doit faire preuve un grand comédien. La pureté, le romantisme, la fougue et le talent à l'extrême vivaient en harmonie dans cet être dont la légende demeure aujourd'hui intacte.

La beauté du diable
25 Novembre 1959. Au petit matin, la France entière apprend la mort de Gérard Philippe. Si le cinéma français perd l'une des ses plus belles gueules, la jeunesse française, quant à elle, perd son symbole. Un acteur engagé, aux valeurs nobles, un être exprimant dans chacune de ses répliques et de ses poses la fureur de vivre. Gérard Philipe répondait à cette quête d'idéal qui se faisait entendre ici-bas dans les têtes des adolescents des années d'après-guerre. La féroce envie d'en finir avec la violence et l'inhumanité, le besoin de vivre avec fougue et passion, les envies les plus aberrantes pour l'époque prenaient vie en cet homme. Toute une jeunesse se reconnaissait dans les traits du jeune François esquissé par les mots de Radiguet. Automne 1946, Le Diable au corps de Claude Autant-Lara bouleverse le public par son caractère subversif et par l'épatante beauté de son acteur.

Le mot "beauté" revient maintes fois lorsqu'on évoque l'acteur que fut Gérard Philipe. Ce n'est pas une erreur mais une certitude. Les studios Harcourt l'immortalisèrent à plusieurs reprises. Chacun des clichés témoigne de cette beauté extrême dont était habitée le jeune homme. Le beau garçon issu d'un milieu bourgeois aurait pu se contenter de ses acquis et cette trajectoire toute tracée. Mais Gérard Philippe en a décidé autrement. Nous sommes en 1940, le pays est rongé par une collaboration nauséabonde avec l'ennemi. Le petit monde du cinéma quitte la capitale pour se réfugier sur la Côte d'Azur. L'occasion est là. Le jeune homme, cannois d'origine, en profite pour rencontrer l'homme du moment. Il se nomme Marc Allégret, metteur en scène de talent, il offre à Gérard Philipe ses premiers rôles au cinéma. De cette période là, naîtra plus qu'une simple passion pour la caméra et les planches.

La Fureur de vivre
1943. Le jeune cannois monte à la capitale et s'inscrit au Conservatoire national supérieur d'art dramatique. Sur les planches, il déclame les vers les plus célèbres du théâtre français. En coulisse, il incarne le héros moderne. A peine 20 ans, animé par la furieuse envie de voir son peuple libéré, Gérard Philipe s'engage auprès des FFI. Premier combat qu'il traînera toute sa vie, à travers ses rôles, ses engagements auprès du Parti Communiste Français et ses choix artistiques.
Choix majeur de sa carrière: sa fidélité au Théâtre National Populaire. En 1947, Jean Vilar crée le Festival D'Avignon. Dans un cadre exceptionnel, lui et sa troupe revisitent de grands textes littéraires. Parmi les saltimbanques, quelques futurs beaux noms du cinéma français: Michel Bouquet, Jeanne Moreau, Philipe Noiret, Charles Denner et Gérard Philipe. L'aventure ne s'arrêtera pas au Palais des Papes d'Avignon. En 1951, Vilar prend la tête du TNP avec la farouche volonté de produire un théâtre "élitaire pour tous". Gérard Philippe multiplie alors les rôles pour cette troupe pas comme les autres qui s'aventure au delà des frontières de la capitale afin de rencontrer un large public. Un soir, aux portes du théâtre de Chaillot, on prit au hasard dix spectateurs afin de connaître leur identité. Parmi eux: un ouvrier, une comtesse, un journaliste, un professeur, un retraité des PTT, un tourneur ajusteur, un libraire, une dactylo... Loin du vedettariat et du microcosme parisien, Gérard Philipe puise dans ses aventures avec le TNP sa véritable éthique.


Soucieux de démocratiser le théâtre, il s'attache à chaque tirade d'éveiller l'esprit collectif qui sommeille en chacun. Le comédien ne badine pas avec le théâtre. Il voit en lui, une façon, maladroite certainement, d'effacer cette image oppressante. Celle d'une star de cinéma, d'un vedettariat dont il méprise les caractéristiques. Hélas, malgré les costumes de Caligula ou de Lorenzaccio, Gérard Philipe n'est jamais parvenu à faire oublier la désinvolture de son Julien Sorel, le charme de son Fanfan la Tulipe, l'arrogance de son Valmont. Star du grand écran, star des planches, Gérard Philipe a tout au long de sa courte existence mis autant d'application à un être un homme juste qu'un acteur de talent. La légende ne serait pas ce qu'elle est sans cette triste expérience d'une mort venue emportée l'être de talent bien trop tôt. Gérard Philipe ne déclamera plus des tirades légendaires. Il est parti, un jour d'automne, enterré dans son plus beau costume. Celui du Cid.

Tag(s) : #Cinéma
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