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"La France a peur" lance Roger Gicquel à la caméra. Trente ans plus tard, la caméra filme Charles Berling, acteur magistral, qui ravive le feu déclenché par Robert Badinter: le combat contre la peine de mort. Combat éternel, sans cesse remis en question, combat fragile qui ne doit jamais s'éteindre.

Qui sait aujourd'hui que la douce France, pays des Droits de l'Homme, fut le dernier pays d'Europe Occidentale à maintenir la peine capitale? Qui sait que seul Mitterand eu le courage de prôner fièrement son opinion défavorable à la peine de mort alors que les français se prononçaient en majorité pour la peine de mort? Que reste -t-il de nos combats?

Il nous reste des fictions. Des fictions retraçant nos combats, notre histoire, parfois nos hontes aussi. Des fictions admirables, souvent diffusées par ce service public que l'on égratigne de tous les côtés. Des fictions modernes qui remplacent les pages arrachées de nos livres d'histoire. Les pages honteuses, celles que l'on cache, celles que l'on préfère oublier. Des ces pages honteuses, de toutes ces années honteuses, Robert Badinter  a tiré deux livres: L'Exécution (1973) et L'Abolition (2000). Deux ouvrages contant ces années terribles marquées par la haine. La haine de cette "France qui a peur", la France qui tremble et qui se prononce majoritairement pour la peine de mort.

Face à cette France: un homme. Un combat presque hollywoodien, un homme seul contre tous. Un homme? Non, que dis-je, un surhomme.  Car l'histoire de L'Exécution et de L'Abolition est avant tout l'histoire magistrale d'un prêt à tout, qui risque toutes ses forces, mentales et physiques, pour venir à bout de ce fléau ou plus précisément pour faire triompher ses idéaux. Robert Badinter mis en images, le résultat est éblouissant et nous donne à voir la naissance  d'une passion, celle d'un homme de conviction  désirant mettre fin à la loi du talion.

"Œil pour œil, dent pour dent" équivaux dans la France des années 70 a "Tu as tué, nous te tuons". A l'instant même où le jugement est donné, où la tragédie n'a pour unique issue qu'un dénouement inhumain, à ce moment précis le crime change de camp. La phrase de Badinter trotte dans toutes les têtes " A cet instant, nous avions tous des gueules d'assassins". Nous sommes les complices de la tragédie pour avoir prononcés ces mots "la peine capitale".

 

 

L'histoire de Roger Bontems puis de Patrick Henri ne sont que les histoires d'une réalité tragique, celle de la guillotine qui fit tombé plus d'une tête. Têtes de coupables, têtes d'innocents, peu importe. Tête tout court. "Ne jamais oublier que la guillotine c'est prendre un homme vivant et le couper en deux" hurle Badinter. Formidable leçon d'humanité donné par un avocat dont le métier, signale t-il, est de "défendre les accusés". Les plaidoiries de Badinter (donné ici par un Charles Berling incroyable) prennent le cœur et le sert de toutes leurs forces possibles. Sans notes, il plaide dans la frénésie du procès afin d'accroître sa puissance de conviction. Trente ans après, celle-ci emporte la partie, mais trente ans en arrière elle déclenche les pires haines. Lettres d'insultes et de menaces, attentat à la bombe artisanale,sifflets et huées... Badinter ne cédera jamais à la pression de la foule, autrement dit "à la pression de la mort".

Plus qu'une fiction, qu'une leçon d'histoire, le combat de Badinter et le téléfilm qui le présente est une formidable occasion pour mettre en question notre rapport à la mort et à celui qui la donne. La France de Pompidou, embourbée dans sa morale conservatrice ne cherche aucunement à comprendre. Malgré quelques abolitionnistes convaincus comme Badinter, la majorité des français se prononçaient en faveur de la peine capitale. Certains exprimaient leurs doutes: "Peut être pas la mort pour tous les assassins, mais pour les assassins d'enfants, oui". Avec intelligence, Badinter nous explique que l'on ne répond pas à la mort par la mort. Il décèle en l'humain, ce que ce dernier refuse d'admettre: "Le meurtrier est un autre visage de nous-mêmes que nous refusons et qui pourtant nous hante". Patrick Henri n'hurlait t-il pas "La mort, la mort!" au procès de Bontems?

La pulsion criminelle est une vaste question. Une question certainement irrémédiable et qui pourtant déclenche la peur. Sentiment humain, sans aucun doute. Dans une plaidoirie subjuguante, Badinter explique à la Cour l'inévitable identification à la victime: l'infirmière tuée par Bontems aurait pu être ma mère, l'enfant assassiné par Patrick Henri aurait pu être mon fils. De ce sentiment humain naît la barbarie, la vengeance, ce désir fou de vouloir donné la mort à celui qui l'a donné. La loi du Talion tant méprisé par Dieu, ce même Dieu qui fait acte de présence lors de l'exécution en menant jusqu'au condamné un prête. La société de barbare, seul juge, seule à décider de la vie ou de la mort d'un homme. La société pour tuer et rien d'autre. La société refusant ses devoirs: le respect d'autrui, le règne de la justice, la justice juste et humaine loin des temps passés où chacun faisait sa loi. L'Abolition retransmet avec honnêté l'intensité des débats et du combat mené par Badinter. Une fiction stimulante, éternellement d'actualité, une réflexion époustouflante sur la justice au sein de la société.


Tag(s) : #Télévision
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