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S6307656Je ne suis pas une chienne de garde. Je suis juste une observatrice cynique. Je ne suis pas une chienne de garde. Je suis juste une jeune fille qui constate. Le constat de la journée : je suis une femme de 23 ans. Mon très cher papa m'a récompensé de cette dur labeur par une biographie de Gainsbourg et le dernier Nicolas Rey. Ma très chère maman m'a offert, avec un sens de l'ironie non dissimulé, un livre elle aussi. Mais pas n'importe quel livre. La Cuisine pour les nuls était joliment emballé dans un jolie paquet cadeau rose (évidemment). A côté de lui, un autre paquet renfermait un beau tablier à carreaux bleus et blancs dont à vrai dire je me ferais bien une petite robe d'été (si seulement je savais coudre). J'ai remué  les interprétations de tels cadeaux 10 000 fois dans ma petite caboche et j'en ai tiré trois messages possibles. Première hypothèse : « Il serait peut-être temps que tu quittes la maison ». Seconde hypothèse : « Il serait peut-être temps que tu participes à la cuisine ». Troisième hypothèse : « Tu es du sexe faible donc ma vieille, il serait peut être temps que tu saches faire cuire un œuf tout de même ». Et si c'était toutes les hypothèses réunies? Non, je ne suis pas une chienne de garde. Je m'évertue juste à analyser les gestes anodins. Le constat de la journée : j'ai 23 ans et la mère-grand à l'autre bout du téléphone s'évertue à me faire remarquer que l'année de ses 23 ans était l'année de son mariage et de son premier enfant. Comment elle disait l'autre jour la dame sur France Inter au micro de Nicolas Domerand? « La régression du statut des femmes »? Oui, je crois que c'est ça dont elle parlait. Qui sait, je devrais peut-être leur offrir, pour leur anniversaire respectif, le nouveau livre de cette dame, une certaine Élisabeth Badinter. Le Conflit, la Femme et la mère ça sonne plutôt bien comme cadeau, non?


Trêve de plaisanteries et de sarcasmes. Élisabeth Badinter, elle ne plaisantait aucunement, il y a quelques jours maintenant au micro du journaliste vedette de France Inter. Il faut dire que le sujet n'était point sujet à des railleries. La couche écolo (comprenez jetable), le choix de l'allaitement, l'instinct maternel et autres préoccupations féminines étaient la cible même du débat soulevé par cette icône du féminisme à la française. En 1980, elle avait déjà sérieusement égratigné le mythe de la mère parfaite avec L'amour en plus. Elle revient aujourd’hui avec un nouvel ouvrage, ancré dans l'actualité, dénonçant avec rage tous ces petits phénomènes qui suscitent la naissance d'un destin féminin très régressif. Pointant du doigt la politique de cette société en pleine crise identitaire, économique et sociale, la philosophe affirme vouloir prévenir les femmes qu'elles sont en train de faire le chemin inverse de celui accompli par leurs mères et leurs grands-mères.


ElisabethBadinterAprès des années de lutte pour obtenir l'égalité des sexe, le droit de vote, le droit à l'IVG et autres multitudes de droits en faveur du deuxième sexe, Élisabeth Badinter observe une marche en arrière progressive vers un retour au fondamentaux naturels. Elle parle dans son livre d'un « nouveau naturalisme », norme aujourd'hui jugée intouchable à laquelle il faudrait se soumettre sous prétexte que la nature représente à jamais le critère du bien. Ainsi celle qui se définissait comme une « mère médiocre », il y a maintenant quelques années, a scruté les comportements des femmes d'aujourd'hui dans une société moderne aux regains d'antan. Elle retient de cette observation assidue une colère perceptible au fil des pages de son ouvrage. Un colère qui n'a aucunement pour but de critiquer l'allaitement, les couches culotte jetable ou le retour en force de la mère au foyer. Non, sa colère est plus insidieuse, elle plaide une liberté de choix dans une société où on nous abreuve le cerveau d'images de femme idéale à la maison et de discours derrière lesquels se dissimulent des idées ancestrales. Élisabeth Badinter ne fait aucunement un amalgame avec un féminisme hystérique où l'on fustige avec plaisir les hommes. Elle, elle préfère fustiger la société, les politiques et les idéologies affamées de confiture Bonne Maman. Pour elle, la régression du statut des femmes est indéniablement liée au contexte économique, à cette crise qui a bon dos et qui a rendu le travail plus dur, plus précaire et plus pressant. Les principales victimes sont les femmes : « Elles font des études, cherchent du travail, sont sous-payées et jetables comme des Kleenex ». Face à un tel bouleversement se pose une alternative : le retour à la maison. Ce retour aux sources ne sera t-il pas plus gratifiant au final? La carrière ne sera plus chef-d'œuvre, se sera l'enfant qui volera sa place. Les conséquences? La femme idéale redevient la mère au foyer, les progrès libératoires se retrouvent mis en cause et la société se félicite de voir la famille se recomposer.


Bien évidemment le propos de Madame Badinter dérange car il va à l'encontre du fonctionnement même d'une société qui ne vise que la reproduction de ces chers bambins. Certains ironisent le propos : fruits de la nature pour nourrir le nourrisson, retour de la couche jetable, méfiance vis-à vis de la péridurale, pilule mal vue apparaissent alors comme une multitude de petits détails aux allures de faux problèmes. Pourtant chacun de ces faits abordés par la philosophe révèlent avec habilité ce refus de l'artificiel, ce retour à la nature, à la valeur authentique et originelle, qui s'avère finalement dangereuse pour la femme en tant qu'individu. L'équilibre délicat, propre à la femme, qui est de trouver un juste dosage entre son rôle de femme en tant qu'individu et son rôle de mère, se retrouve alors complètement chamboulé. Dans une société où le moi est roi et où les devoirs maternels refont surface, la femme est prisonnière d'une schizophrénie complexe, d'un conflit interne auquel les hommes échappent grâce à un schéma millénaire. Elle porte en elle une culpabilité automatique, une culpabilité dans les gênes, celle de devenir mère et quand elle l'est enfin d'incarner le modèle de la mère parfaite. Et la femme dans tout ça a t-elle encore le droit d'échapper à un destin féminin nécessaire, de vivre la vie qu'elle veut sans rendre des comptes à personne et encore moins à la société entière? Je vais méditer cette question millénaire dans la cuisine en potassant La Cuisine pour les nuls, peut-être que j'y trouverai une solution pas trop compliquée à cuisiner...

 


 

Tag(s) : #Chroniques de l'asphalte
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