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« La féminité, c'est la putasserie. L'art de la servilité. On peut appeler ça séduction et en faire un machin glamour. Ce n'est un sport de haut niveau que dans très peu de cas. Massivement c'est juste prendre l'habitude de se comporter en inférieure ». La phrase est de Virginie Despentes. Elle est « surlignée en triple » dans ce vieux bouquin toujours à portée de main. Je suis une fille soumise au cruel dilemme de son siècle : concilier « au mieux » sa part de féminité (putasserie?) et son âme de féministe (idéaliste?). Et même si ma tête déborde de lectures féministes, j'ai une fâcheuse tendance à pratiquer « l'art de la putasserie ». Tout en douceur, naturellement. Souvent, j'aime me souvenir de l'époque où j'exécrais cet art-là. L'époque de l'âge ingrat. Des T-shirt larges pour dissimuler des formes honteuses qu'un petit corps mince n'appréciait pas trop. Des baskets au pieds pour aller au collège parce que fallait pas déconner, il y avait autre chose à penser que plaire aux garçons. « Plaire aux garçons », triste obligation à laquelle on nous condamne dès le plus jeune âge... jusqu'à la fin notre vie ? Plaire aux garçons, fermer sa bouche, se laisser dévorer des yeux comme un morceau de viande, être ni trop courtoise (hey, on n'est pas complètement des pétasses non plus) ni repoussante (bah ouais faut bien quelques princes charmants à croquer aussi). Bref, ma petite pour être une fille il faut que tu saches qu'il est nécessaire d'accepter les règles du jeu, sa part de putasserie et surtout ne pas trop avoir de problèmes de conscience. Avec tout ça tout devrait bien se passer... selon les lois du marché et de ta sacro-sainte société.

 

Justement la sacro-sainte société prône depuis plusieurs années maintenant, que dis-je, depuis des décennies, le culte du jeunisme. Pas d'hypocrisie en ces pages. Je dis pourquoi pas. Quand je regarde les grands-mères dans le bus, leurs difficultés à marcher, toutes ces marques sur leur jadis beau visage, j'arrive à imaginer qu'elles aussi un jour ont eu 23 ans, une jolie poitrine, des tonnes de soupirants et des heures de «  pomponnage  » pour « plaire aux garçons ». J'en arriverais même à pousser une petite larme si mamie justement n'était pas là pour me dire que « c'est le cycle de la vie, ma pauvre fille » ! Pas faux, mais ici-bas le cycle de la vie on le combat coûte que coûte, et si Mamie n'a pas eu la chance de connaître les crèmes anti-rides, ses petites filles elles auront l'honneur de connaître la médiocrité de leur époque, et bien plus encore : l'honneur d'assister à la régression du monde à mamie. « L'art de la putasserie, de la servilité » commencera dorénavant dès le plus jeune âge.

 

La féminité ça passe par quoi ? Vu que lire Le Deuxième Sexe dès 8 ans n'est pas à la portée de nos chères gamines (à moins d'être un génie), la féminité commencera donc par cette saloperie de corps qui nous lâche totalement et prône le changement suprême. Petite fille tu deviendras femme. Des formes ici et là. Du sang un peu par ici. Des pensées qui viennent subitement tout en haut et cette envie soudaine de lâcher sa plus belle Barbie pour être une Barbie soi-même. Sachant que Barbie, cette pute, ne porte pas de culotte, cela ne nous réserve rien de bon pour la suite...

 

La suite à mon époque c'était mamie (encore elle!) qui t'achète ta première brassière, maman qui t'explique d'où vient ce sang et pourquoi, et puis toi et tes pensées que tu gardes pour toi parce que dans ta tête le mot « école » prend le dessus sur le mot « garçons ». Pour faire le topo, aujourd'hui, l'ordre des choses est quelque peu bouleversé. C'est toujours mamie qui t'achète ton premier soutien-gorge, rembourré évidemment, (à noter que la brassière de ton époque, aujourd'hui c'est les gamines de 3 ans qui la portent !). Ensuite, c'est maman qui t'explique d'où vient ce sang, pas de panique, elle va aussi t'expliquer certaines choses pas complètement fausses sur les garçons et risque de te filer quelques préservatifs juste au cas où, parce que c'est bien connu à 10 ans on a le feu aux fesses. Enfin tes pensées, comme tu as 10 ans environ (c'est ça ?!) tu vas pouvoir les partager sur ton mur Facebook et pourquoi pas te mettre en couple histoire de rendre jalouse toutes tes copines. Bienvenue dans le monde moderne, petite pute !

 

Pardon... C'est vrai, c'est pas toi que je devrais insulter. Serait-ce alors tes parents ? Tes copines ? Tes copains ? L'école ? La société ? Les lois du marché... ou les lois de toujours ? Peut-être sommes nous tous les coupables de cette sexualisation à outrance des petites filles, gamines, adolescentes qui s'organise en silence. Comme si on n'usait pas assez de temps dans notre vie à séduire, à exceller dans l'art de la putasserie de nos 10 ans à 70 ans, il faudrait aussi voler les enfances. L'enfance cette perte de temps à rêvasser en regardant les grands, à s'inventer des histoires minables avec Ken et sa pétasse blonde, à pleurer sur le petit con au fond de la classe qui n'a même pas remarqué que tu t'es fait une frange. L'enfance ça sert à rien, petite. Alors on zappe et on te fait entrer directement dans le monde des grands ! Okay ?! Tu as quoi, 8 ans ? À peine ? Pas de problème, pour toi, on a du 70 A en rayon, rembourré de mousse et doté d'une coque. Tu vois Pamela Anderson, à côté de toi, elle peut se rhabiller ! En parlant de Pam et de sa poitrine, imagines la courir sur sa plage pourri de Malibu et tu pourras constater qu'avoir des seins et courir après les mecs c'est franchement pas facile, donc oui, moi féministe à 2 balles je m'élève pour  te dire : « Oui au soutien-gorge en mousse et à la coque, qui nous aident à supporter ce poids infâme ! ». De quel poids infâme je parle en fait ? Le poids de ta poitrine que tu n'as pas... ou alors serait-ce celui du diktat de la mode ? Tel est le nom de notre ère, petite : diktat de la mode. Retiens bien son nom de code !

 

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Et comme si nous, pauvres filles de tous les âges, nous ne souffrions pas assez de ce diktat, il est aujourd'hui question de le partager avec nos petites sœurs ou futurs enfants. Ouais, on est généreuse : on partage nos produits de beauté ou plus exactement on inflige nos angoisses de rides, de vieillesse et de perte de libido aux futures générations dès leur plus jeune âge. Ainsi il y a quelques semaines, la toile s'enflammait pour des histoires de soutiens-gorge rembourrés conçus pour des petites filles de 8 ans, mais aussi des bikinis « push up » (en savoir plus par ici) dont les modèles S ont été élaborés pour des tours de poitrine d'environ 70 cm. Mais aujourd'hui, grand pas pour la femme que tu deviendras, on lâche les nénés des jeunes demoiselles, que dis-je, des fillettes pour s'intéresser chérie à ton mignon minois !

 

Lâches Barbie (ou plutôt Facebook) pour venir rejoindre Maman devant son beau miroir ! Miroir dis moi qui est la plus belle ? Maman ou toi. Ça s'équivaut. Blush, mascara, rouge à lèvre, khôl comme tu voudras... mais Maman a quelque chose de révolutionnaire à te proposer : la crème anti-rides ! Miracle ! J'ai envie de te dire qu'à côté de ça, le vote accordé aux femmes en 1944 c'est vraiment naze. La bonne idée nous vient directement du Nouveau Monde. « Ah si les ricains n'étaient pas là » chantait un type que je n'aime pas. Heureusement ces ricains sont là pour faire de toi la plus belle pour aller danser, et plus si affinités. Dorénavant ton soucis ne sera plus l'acné, ultra-démodé, mais les rides. Il faut les combattre et pour cette opération de haute envergure, une ligne de cosmétique américaine, Geo Girl , a inventé le maquillage « pour enfants » aux propriétés anti-âge destiné aux fillettes âgées de 8 à 12 ans ! Conseils d'utilisation : tartines-toi la gueule à la récré avec des produits naturels sans paraben et super green forcément. Ne perds plus ton temps à jouer mais à te maquiller. Et surtout n'oublie pas de te dépêcher de grandir...

 

Adorable petite enfant aux allures d'adulte miniature ce qu'on oublie de te dire c'est qu'il faut que tu grandisses le plus vite possible pour devenir ce que l'on veut que tu sois : une grande consommatrice. C'est beau d'être une consommatrice. Tu sais, je sais de quoi je parle. J'en suis une de temps en temps. C'est pas une tare, non, c'est juste un art qui consiste à fermer les yeux sur le mécanisme d'un monde, d'un cercle vicieux souvent malsain dont l'habitude te pousse « à te comporter en inférieure ». Et crois-moi, tu as tout le temps quand tu seras grande de «  te comporter en inférieure », de rentrer dans la ronde et faire comme tout monde, de « jouer à la femme et à l'homme»... Mais saches petite qu'une fois grande, tu auras aussi la possibilité de ne pas jouer à la « féminité mascarade », d'ouvrir tes grands yeux naturels sur le rouage du monde de la consommation. La femme est un produit comme les autres, ma chérie, et comme les autres produits tu auras un jour toi aussi ta date limite de consommation. Alors à quoi bon se vendre dès son plus jeune âge, rajouté du monde au balcon dès 8 ans et se tartiner la gueule comme une mannequin pour assister à ton cours d'Histoire de classe de 6ème ?

 

Non ma chérie, mieux vaut te remplir le cerveau pour l'instant que de peinturlurer ton joli visage d'enfant. Laisses aux grands leur médiocrité, tu auras tout le temps d'y goûter plus tard...

 

 

Tag(s) : #Histoires et pensées du Deuxième Sexe
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