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« Alors c'était comment L'Idiot selon Macaigne ? ». A cette question maintes fois posée parce que je l'avais mainte fois annoncée comme une fille qui aurait enfin réussi à décrocher un rencard avec le mec de ses rêves (façon « Hey, hey je vais voir le spectacle de Macaigne ! Quoi tu ne sais pas qui est Vincent Macaigne ? Mais bordel, le mec doux comme un agneau à la voix cassée qui a envie de tout casser en une seconde dans La Bataille de Solférino, Tonnerre, 2 automnes 3 hivers, tu vois pas ? Mais faut tout voir de lui, bordel qu'est-ce que tu fous !... ») et bien je ne savais que répondre. Enfin si, je lâchais un brumeux : « Indéfinissable ». La veille, ce trentenaire né au théâtre, star montante du cinéma pour les cinéphiles en mal d’idoles à idolâtrer comme moi (chacun ses tares), avait dynamité ma tête et la scène du Théâtre de la ville par la même occasion. Nous étions certainement des centaines entrés dans la brume d'une boum géante version punk politiseé organisée dans une grande salle bouillante d'idées, et ressortis le corps lessivé, le crâne dans la brume. Il fallait prendre l'air, marcher, mettre au clair sa tête dans un Paris noir. Là-dedans, ça cogitait, comme rarement. Là-dedans, ça travaillait enfin pour des bonnes raisons. Ça s'agitait à tenter de remettre en place les maux maintes fois répétés par des fous furieux sur scène. Capitalisme, socialisme, libéralisme... A remettre en place les images des scènes de destructions massives en direct sous nos yeux. Un Idiot, debout sur un banc, ne cessant d'hurler des « pardon, je sais que je parle trop », les coups qui pleuvent sur lui dans un esthétisme des plus sombres. Et sur nous aussi, spectateur que Macaigne ne compte pas épargner pendant presque quatre heures. Alors il y a les pros et les antis Macaigne. Instigateur d'une bataille d'Hernani, moderne et tonitruante. Opposition basique entre les classiques et les modernes. Si à l'entrée comme à la sortie, je me classe dans les seconds et regarde avec colère les premiers qui osent quitte leur siège en pleine action, leur mentalité étriqué refusant d'entrée l'expérience, parfois cette idée me traverse : comment feront-nous pour nous accepter et vivre ensemble ? Vœu si cher à notre Idiot. La guerre est déclarée par le prisme de cette pièce réinterprétée par Macaigne, cette histoire d'un autre temps, d'un autre siècle, d'un autre pays, signé Dostoïevski.

 

19H15, sur le balcon du Théâtre de la ville, le père de Nastassia Totky, hurle aux spectateurs de venir célébrer l'anniversaire de sa fille. Il les rejoint mégaphone en main sur le trottoir du théâtre, compagnons de fête à ses côtés, musique techno s'échappant d'un énorme magnétophone. Il les invite à le suivre main dans la main d'un bord à l'autre de la Place du Châtelet. L'Idiot a bel et bien commencé dans cette rue, joyeusement métamorphosée pour l'occasion en immense manif bon enfant. Les passants regardent incrédules. Les spectateurs obéissent dans la bonne humeur, d'autres esquissent des sourires amusés. Combien d'entre eux n'ont pas lu Dostoïevski, comme moi lâche ayant abandonnée le Prince au bout d'une trentaine de pages ? Combien ignorent que l'anniversaire auquel nous allons assisté est un drame ? A l'intérieur du théâtre, l'atmosphère est étouffante. On grimpe des marches à n'en plus finir pour entrer dans une salle sombre où l'on distingue à peine les sièges, juste cette scène en bas où Totky continue à inviter le public à monter sur scène pour boire de la bière et fêter l'anniversaire de sa fille chérie dans une musique assourdissante. Techno, punk, chants de l'armée rouge et puis Por que te vas. Joyeux bordel surréaliste à nos pieds. Personne n'ose vraiment s’asseoir sagement dans cette ambiance tonitruante, cradingue, vivifiante. Tous debout profitant de l'instant, de la vue, de la beauté de la scène.

L'Idiot selon Macaigne : électrochoc éloquent

"Je parle, je parle pour nous sauver tous, pour que toute notre classe, elle ne s'écroule pas pour rien dans les ténèbres, sans n'avoir rien compris en se disputant pour tout, en n'ayant rien compris parce que notre classe elle est en train de s'écrouler lentement"

Le décor est planté. Il ne cessera d'évoluer dans tous les sens du terme, au propre comme au figuré. Dans le désordre de ma pensée. Je me souviens. Des scènes à plusieurs personnages s'hurlant dessus, mégaphone, micro en main. Un lapin géant hilarant bavardant capitalisme et socialisme. Des personnages qui sortent du public. Des gens du public assis sur la scène. Un homme nu. Puis deux. Une immense soirée mousse. Des chutes à tout va. Des coups aussi. L'histoire d'un prince épileptique prenant sous son aile la petite Marie. Une Nastassia insultée, s'insultant sans cesse de dépravée, demandant la voix tremblante si quelqu'un voudrait bien l'embrasser, et un spectateur qui le veut bien. Une bâche en plastique séparant leurs bouches d'inconnus. Des applaudissements. La rage d'Aglaia qui nous retourne sans cesse le cœur. Des lettres en ballons gonflables qui forment un « ici c'est pire qu'ailleurs ». La voix oubliée de ce François Hollande qui disait des « moi, président de la République ». La gueule de Sarkozy sur un écran cabossé. L'ombre du Alex de Kubrick peut-être. Une scène violente. Des spectateurs du premier rang sous une bâche. Kurt Cobain crachant le tube pour adolescents qui l'a certainement tué. Un mur taggé salement où l'on peut lire« La fête est finie » ou « Voici venue le temps de l'argent et du sang ». De l'hémoglobine beaucoup, du champagne aussi. De la terre qui tombe du ciel, sur le cadavre de Nastassia. Et des paillettes plein la tronche de l'Idiot. Cet héros qui parle trop, qui veut aimer, qui pense que « la beauté sauvera le monde ».

 

Macaigne, metteur en scène de cette réinterprétation de l'Idiot (spectacle qu'il avait déjà mis en scène en 2009) ne joue pas l'Idiot. Pourtant c'est lui, cet être qui parle trop, qui pense que la beauté sauvera le monde, que l'art en est l'instrument. C'est eux sur scène, sa troupe aux voix cabossées, martyrisées pour tout donner aux spectateurs. Lui déverser en pleine gueule avec de l'hémoglobine à gogo, de la mousse, de la terre, de la peinture et surtout des mots cette monstrueuse lucidité sur un monde qui fait naufrage. Cette pièce bruyante par et pour une génération qui a du mal à se faire entendre. Dostoëvski écrivait la Russie de 1868. Macaigne hurle la France de 2014. Brasse les idées, les colères, les passions, les espoirs sans jamais basculer dans la démagogie. Certains diront que si, mais ces certains seront à coup-sûr des vieux cons qui ont abandonnés l'idée de se battre. Alors la troupe se bat pour se faire entendre parce que « c'est pour qu'on entende un dixième ou même dix seconde de notre pensée » explique Macaigne.

 

Les acteurs hurlent et pourtant pendant tout le spectacle je m'avance sur mon siège pour mieux les entendre. Je refuse de mettre les boule quiès distribuées à l'entrée. Ensemble, ils se refusent au sens de la mesure qu'il faudrait avoir à tout prix. Faisons de même par respect de leur travail. Les détracteurs diront qu'ils ne respectent ni le théâtre, ni ses spectateurs. En vérité, ils nous réaniment tous à coup d'électrochocs visuels, sonores et idéalistes. Le « tout va partir a volo et ça sera de votre faute » d'un personnage résonne comme une accusation envers les spectateurs qui qu'il soit, pauvre ou riche, ouvrier ou bourgeois, parisien ou non, jeune au vieux, pro ou anti Macaigne. Le « on ne finira jamais la liste des saletés de notre siècle » d'un personnage résonne comme un constat amer, fardeau commun dont on ne sait que faire. Après ces heures intenses, où quelques longueurs se sont incrustées mais où la sincérité l'a toujours emportée, on ne sait que faire de toute cette éloquence, verve poétique et contestataire. On repense à cette question maintes fois posée après une grande œuvre, cinématographique ou littéraire : « Maintenant qu'est-ce que j'en fais ? » Les classiques disent de ce spectacle « beaucoup de bruit et de fureur pour rien ». Mais qu'est-ce qu'ils font eux ? Moderne ne connaissant rien au théâtre, mis à part ce que mon professeur de lettres modernes a bien voulu me raconter pendant des heures sous mon regard amouraché d'idéaux : cette pièce m'a bousculé,  donné envie de réouvrir Dostoïevski, d'écouter Nirvana encore plus fort que d'habitude, de continuer à enrôler des gens dans mon amour pour Vincent Macaigne et son art, à rester vigilante sur ces acquis que l'on détruit, à espérer comme une idiote un peu aussi.

Tag(s) : #théâtre, #Société, #Vincent Macaigne, #Théatre de la Ville, #L'Idiot, #Dostoievski, #Hollande, #Nirvana
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